Chapitre 12

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Vinny

– C'est pas possible d'être une telle merde !

– Mais ta gueule ! Si t'expliquais correctement, aussi !

- Y a des trucs qui sont évidents. T'as juste les doigts cassés.

Je vais l'étrangler. Je vous jure que je vais l'étrangler. Où lui enfoncer le clavier au fond de la gorge. Quel connard. Sans répondre, j'essaye pour la énième fois de reproduire la mélodie qui est sortie si aisément de ses doigts. Quelque chose de simple, avec seulement une poignée de notes. Et pour la énième fois, je me plante. C'est le tout premier cours de piano. Il est vingt-deux heures, Oliver est décidé à être plus infect encore qu'à l'accoutumée et j'essaye sans grand succès de reproduire une série d'accords.

– Je savais même pas qu'un piano pouvait produire ce son, se moque-t-il.

Je le foudroie du regard. Il est assis sur une vieille chaise en aluminium, que j'ai trouvée au fond du local à produits ménagers. Légèrement penché au-dessus de mon épaule, il observe mes gestes avec une attention de pianiste. Il a les sourcils froncés par l'agacement et je devine qu'il se mord l'intérieur de la joue, à la façon qu'à sa pommette de se creuser.

– Ferme-la.

– Fais moi un « do », ordonne-t-il en ignorant mon insulte.

Ah. Un do. Bon. J'ai complètement oublié où ça se trouvait. Sans trop y croire, j'enfonce un doigt sur une touche au hasard. Qui sait. Il pince l'arrête de son nez entre son pouce et son index, en soupirant.

– Mais quoi ?

– Tu viens d'appuyer sur une touche noire.

– Ouais ?

Il se passe la main sur le visage, en secouant la tête.

– J'abandonne, t'es une cause perdue, grogne-t-il. Essaie le rugby, plutôt. Vu que t'appuies sur les touches comme un bourrin, ça te conviendra parfaitement.

De frustration, je donne un grand coup sur le clavier.

– Tu viens juste de prouver mon propos.

Je lui fais un doigt d'honneur, qu'il ignore royalement.

– OK, on va reprendre depuis le début, ordonne-t-il en s'étirant.

Je hoche la tête. Bonne décision.

– Donc. Tu vois les deux touches noires, là ?

– Oui.

– Eh bah, à gauche de la première, c'est le do.

Il me pointe la touche du doigt. Je hoche la tête. Ça, c'est simple. Les quelques rudiments qu'on m'avait appris me reviennent peu à peu. J'ai vraiment une mémoire de poisson rouge.

– La note d'après, c'est le ré, celle d'après le mi, et ainsi de suite jusqu'au si. Compris ?

– Oui oui.

– Et les touches noires, ce sont des dièses ou des bémols. Entre chaque note, il y a un ton. Mais entre le « la » et le « la dièse », par exemple, il y en a seulement un demi au-dessus. Et entre le ré et le ré bémol, il y a un demi ton en dessous. C'est pas compliqué.

Pour illustrer ses propos, il appuie sur les touches citées. Il est penché sur le clavier, les yeux rivés aux touches. Il me montre son profil, tellement symétrique que s'en est agaçant. Il a mis un sweat vert foncé, aujourd'hui. Et sa veste de basket. Si on se fiait à son apparence et aux préjugés, jamais on ne pourrait deviner qu'il passe une grande partie de son temps libre à s'user les mains sur un clavier. Un grand mec comme lui qui aime la musique classique ? Assortiment presque détonnant. Pourtant, ça a toujours été inné, chez lui.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant