Chapitre 41

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Le dix huit janvier de l'année de mes quinze ans, mon petit frère Evan, le jumeau d'Aiden, est mort renversé par une voiture. Sa tête a violemment heurté la route et il a succombé sur le coup, sans souffrances d'après le médecin. Yseult, la sœur d'Oliver, est décédée trois jours plus tard à l'hôpital, d'un traumatisme crânien. D'après les quelques témoins, la voiture a déboulé de nulle-part, à une vitesse vertigineuse, et a percuté les deux adolescents qui marchaient sur le parking de mon immeuble. Elle a fini sa course dans la devanture du bâtiment voisin. Une fenêtre a éclaté en mille morceaux.

Mon père était au volant, complètement bourré et défoncé. On a appris plus tard qu'il comptait aller une énième fois réclamer de l'argent à ma mère ; chose qu'il fait régulièrement, depuis plusieurs années. Il s'est endormi au volant. La voiture a fait une violente embardée. Il a pris cinq ans de prison.

Cet après-midi là, Evan et Yseult avaient voulu que nous passions la journée tous les quatre à regarder des films. Il était quatorze heures lorsque nous les avons convaincus de nous laisser quitter l'appartement sans eux, parce que nous voulions rester tous les deux. C'est trois heures plus tard, après notre tout premier baiser sur le vieux terrain de basket, que nous avons appris ce qui était arrivé.

Ma mère m'a appelée, terrassée par le chagrin, en me demandant de la rejoindre en bas de l'immeuble. Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, les pompiers hissaient une housse mortuaire dans une ambulance et le corps inanimé d'Yseult, équipé d'un masque à oxygène, dans une autre. J'ai compris que c'était mon petit frère, ce petit frère aux yeux plus bleus que l'azur et au rire assez pur pour effacer toute la misère du monde, qui était allongé dans la housse.

Oliver, complètement horrifié, s'est empressé de monter dans l'ambulance à la suite de sa sœur sans me lancer un regard. Son bracelet brésilien s'est détaché et a atterri sur le bitume. Je me suis effondrée sur les pavés, les yeux fixés dessus, avec l'impression d'être seule au monde. On n'a jamais vraiment su pourquoi ils étaient tous les deux sortis de l'appartement, ce jour-là, mais la culpabilité n'en était pas moins cuisante, les premiers mois. Oliver, lui, n'a jamais pu s'en défaire. Le doute a toujours persisté dans sa conscience. Et s'ils s'étaient retrouvés dans la rue parce qu'ils étaient à notre recherche?

Peut-être que si nous avions passé l'après-midi avec eux, comme convenu, ils ne se seraient pas retrouvés au beau milieu de ce parking à seize heures onze. Peut-être que nous aurions pu les retenir sur le palier de l'immeuble. Alors, ils n'auraient pas rebondis comme des poupées de chiffon sur le pare-choc de la voiture de mon père. Ils ne se seraient pas brisés les os. Ils n'auraient pas tous les deux succombé d'une blessure à la tête, l'un sur le bitume froid, la joue enfoncée dans un tas de neige, et l'autre dans un lit d'hôpital, entourée de machines.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant