Chapitre 9

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Vinny

Les matchs de basket du lycée ne manquent jamais de provoquer en moi un sentiment de malaise. Ce n'est pas à cause de la foule opaque et aussi agitée que des insectes autour d'un bout de sucre, ni de l'odeur âcre de la sueur et des frites grasses vendues à l'entrée du gymnase.

Je n'aime pas avoir à regarder Oliver évoluer sur le terrain. Je n'aime pas sa la façon qu'il a de se mouvoir, légère comme un nuage, presque dansante. Ce n'est pas comme si je pouvais éviter de l'observer. Il a régulièrement la balle, il possède ce grand corps élancé qui attire l'attention. Les matchs de basket deviennent de plus en plus déplaisant à regarder parce qu'ils font partis de ces moments où je ne peux pas ignorer l'existence d'Oliver Harrison. Et puis il y a Raven, aussi. Raven, l'un des joueurs talentueux de l'équipe de basket de Breenhight. Raven et son sourire haineux. Raven qui ne me quitte pas des yeux à partir du moment où ils ont trouvé les miens. Raven et son torse presque trop musclé, Raven et ses prunelles glacées qui n'abritent plus aucune affection. Raven et les souvenirs désagréables qu'il fait remonter. Il me rappelle souvent à quel point j'ai pu être égoïste et indifférente.

J'ai mal agis avec Raven. Je n'ai pas de réelles justifications, à part que j'étais triste - de cette tristesse insoutenable qui s'amuse à déposer délicatement des voiles opaques sur la raison et la lucidité - que je me sentais seule au monde et que mon esprit s'accrochait à la moindre petite dose d'attention qu'il pouvait se procurer. J'ai rencontré Raven à une fête, l'été de mes seize ans. Il était beau, il me souriait beaucoup et son parfum avait quelque chose de rassurant lorsqu'il me faisait danser dans ses bras. J'ai fait abstraction du mieux que je le pouvais de l'absence de taches de rousseurs sur ses joues, de ses yeux trop bleus et de ses cheveux trop clairs. On s'est revus, puis encore revus, à Central Park ou au cinéma. Avec moi, il était toujours un peu timide, un peu maladroit. Pas vraiment un grand bavard qui aimait s'épancher sur les étoiles ou sur la musique mais quelque part, ça m'allait comme ça. Il ne savait pas toujours quoi dire, quoi faire, et c'était ce qu'il me fallait. Quelque chose qui n'avait pas le goût d'un grand amour et qui s'écoulait facilement, sans grandes fioritures. Nous sommes sortis ensemble quelques mois. J'ai été injuste. Cruelle, presque. Lorsque je me suis rendue compte qu'il était probablement tombé amoureux de moi, je n'ai pas arrêté pour autant. Ça me faisait du bien, cette relation légère qui me donnait le sentiment d'être adorée. Je savais que je ne partagerait jamais les sentiments de Raven, mais je n'ai pas eu envie de renoncer à l'amour qu'il me donnait.

Je l'ai quitté sans vraiment de douceur, avec cette froideur détachée qui me caractérisait à l'époque. J'ai été polie, plutôt laconique, et je lui ai expliqué que je souhaitais m'arrêter là, parce que je ne partageais pas ses sentiments. Il n'a pas compris. J'étais son premier amour. Il s'est senti trahi et utilisé. L'amour inconditionnel qu'il me portait, ce genre d'amour pur qui fleurit dans le cœur des adolescents aussi facilement qu'un perce neige au début du printemps, ce sentiment précieux s'est peu à peu métamorphosé en une haine froide. J'ai brisé son cœur, sa confiance, sa fierté et son sourire. Raven n'a jamais été le plus doux des garçons aux yeux du reste du monde. Déjà à l'époque, même s'il s'est toujours montré très attentionné et gentil avec moi, il possédait cet attrait pour la violence et la provocation. Il se battait souvent, il pouvait se montrer agressif et même plutôt infecte à certaines occasions. Disons que mon abandon soudain n'a pas aidé. Les attraits négatifs de sa personnalité se sont renforcés. Le Raven délicat et amoureux que je connaissais à totalement disparu pour laisser place à l'ado hautain et en colère d'aujourd'hui, qui traîne fièrement une réputation de garçon à problèmes comme un bagage particulièrement précieux.

Je sais que je le verrai, aujourd'hui. Il ne manque jamais un match. Il ne manque jamais de m'insulter non-plus, lorsqu'il en a l'occasion. Je ne lui en ai pas tenu rigueur, les premiers mois. J'avais conscience de l'avoir blessé et considérais que c'était sa façon à lui de guérir. Mais les menaces sont devenues de plus en plus agressives, à mesure que Raven se transformait. Je n'ai plus réussi à me blâmer entièrement pour son comportement. Cette cruauté qui a explosé après notre séparation n'est pas seulement née de mon rejet. Elle existait déjà, se révélait dans la façon qu'il avait de traiter certain de ses camarades, de ses coéquipiers et de ses amis. J'ai sûrement aidé à faire grandir cette méchanceté profonde, c'est vrai, mais j'ai compris au fil du temps que je n'étais pas la cause de son vice profond. Aujourd'hui, je le déteste probablement autant qu'il me déteste moi. Je n'ai pas envie de le voir.

Les touches noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant