Chapitre 6

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– Il est possible que je n'aie pas suivi ton conseil.

Irlanda et moi étions attablées devant un bol de soupe, bien qu'il ne fût que 7 heures du matin. J'avais passé la nuit à broyer des légumes, activité que j'avais trouvée hautement libératrice au point que je songeais à inventer un nouveau concept pour remplacer les rage rooms. Plutôt que de détruire des objets avec des battes de base-ball, les gens viendraient réduire en bouillie des légumes fanés. Ce qui leur permettrait de se décharger de leurs émotions tout en nourrissant la planète. Ce concept me paraissait si fabuleux que je me demandais pourquoi personne avant moi n'y avait encore pensé.

– Quel conseil ? Tu ne suis jamais mes conseils de toute façon. Tu n'en fais toujours qu'à ta tête.

– J'ai largué Mattéo hier.

J'ai attrapé une poignée de graines de sésame pour en parsemer mon bol.

– Le pauvre. Comment il l'a pris ?

– Plutôt bien.

Elle m'a jeté un regard suspicieux.

– Tu en connais, toi, des ruptures où les gens se serrent la main avec un grand sourire en se souhaitant « Bonne continuation » ? lui ai-je rétorqué.

– Euh, non. Mais quand même, c'était son anniversaire, a-t-elle appuyé avec un air chagriné.

Je me suis rendu compte qu'elle était peut-être peinée à l'idée de ne plus revoir Mattéo. Elle avait passé beaucoup de temps avec nous au bord du lac cet été. Il y avait même une photo de nous trois accrochée sur son frigo.

– Et alors, qu'est-ce que ça change que ce soit ce jour-là ou un autre ? Au final, le résultat est le même.

– Ça change que l'année prochaine lorsque viendra son anniversaire, il sera déprimé. Ce ne sera plus son anniversaire, ce sera l'anniversaire du jour où tu l'as quitté.

– N'importe quoi. D'ici l'année prochaine, il sera passé à autre chose.

– Qu'est-ce que tu en sais ? Il semblait très attaché.

– Justement, ai-je murmuré sombrement.

– Justement quoi ? C'est pour ça que tu l'as quitté ? Parce qu'il était attaché ?

Son ton semblait sous-entendre que j'avais fait une erreur ou que j'étais folle. Je me suis levée pour faire griller du pain.

– Il n'ira nulle part dans la vie s'il s'attache aussi facilement.

Un silence réprobateur s'est installé derrière moi.

– J'en avais marre d'accumuler les brouillons de rupture, ai-je ajouté en décrochant le sourire de Mattéo du frigo. Il fallait que j'appose un point final.

J'ai glissé la photo derrière la corbeille à fruits, comme si ce souvenir était destiné à se détériorer au même titre que ces bananes. Puis je me suis adossée au comptoir.

– Les brouillons de rupture, qu'est-ce que c'est ? a-t-elle demandé, intriguée.

– C'est quand tu essaies de rompre avec quelqu'un, mais que tu ne parviens pas à ton but. Un peu comme une esquisse. On ne se rend pas compte, mais larguer quelqu'un, c'est tout un art.

Irlanda a froncé les sourcils.

– La danse, c'est de l'art. La fresque de graffiti derrière l'immeuble, c'est de l'art. La façon dont tu as disposé cette branche de céleri sur mon bol, je suis presque prête à admettre que c'est de l'art. Mais larguer quelqu'un, non, ce n'est pas de l'art.

La théorie des cœurs bunkers - Sous contrat d'édition Hachette RomansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant