Une multitude de citrouilles jalonnait le chemin, éclairant de leur sourire édenté l'allée de graviers menant jusqu'à la salle des fêtes. J'avais réussi à convaincre Irlanda de m'accompagner, arguant que je voulais lui montrer le fruit de mon travail. J'espérais surtout qu'elle retrouverait un peu d'insouciance l'espace d'une soirée. Je me souvenais de l'époque où c'était elle qui insistait pour me traîner à ce genre de fête. Elle aimait tellement danser. Maintenant la danse était devenue son métier et avait perdu ce côté frivole, léger.
– Désolée de te décevoir, mais ça ressemble vraiment à Halloween, a-t-elle commenté alors que nous venions d'arriver face à la table où on payait les entrées.
En tant que membre du comité, j'avais un accès gratuit. J'ai montré mon bracelet V.I.P. tandis qu'Irlanda sortait un billet de cinq euros.
– Pas de déguisement, a tranché le garçon derrière la table en désignant son paréo.
– Ce n'est pas un déguisement ! s'est-elle indignée.
– Ça m'en a tout l'air, a-t-il dit d'un air sceptique en toisant le tissu violet parsemé de fil d'or et de piécettes étincelantes.
– Alors il suffit d'avoir un peu de style pour paraître déguisée ?
– Il est important que les gens comprennent qu'on ne fête pas Halloween.
– Pourtant il y a des citrouilles partout. Elle porte une citrouille d'Halloween dans les mains, s'est-elle insurgée en me pointant du doigt. Et vous l'avez laissée passer !
– Ce n'est pas une citrouille d'Halloween. C'est un navet samainique, a-t-il corrigé.
– Eh bien, si cette chose est un navet, ceci est une écharpe, a-t-elle dit en détachant son paréo pour le glisser autour de ses épaules. Vous avez un problème avec les écharpes ?
Derrière nous, les gens commençaient à s'impatienter. Le garçon a encaissé le billet d'Irlanda avant de lui tendre son ticket en déclarant d'un ton forcé :
– Bon Samain !
– Merci.
Sitôt rentrée, Irlanda s'est empressée de renouer son paréo autour de ses hanches. Nous étions parmi les premières arrivées. Afin d'éviter les bousculades et les incompréhensions, le comité avait décidé que la salle resterait éclairée le temps d'accueillir les participants. Une fois la porte refermée, on procéderait à l'extinction des feux. Au bout d'une heure, les membres du comité commenceraient à allumer des citrouilles pour créer la sensation que la vie revenait progressivement. C'est la raison pour laquelle je portais ce légume encombrant ainsi qu'un briquet glissé dans ma poche.
– Tu veux un verre ? a proposé Irlanda en se dirigeant vers le buffet où des saladiers de chips reposaient sur de fausses peaux d'ours.
– Non merci. J'ai déjà les bras assez chargés.
– Vous avez de l'alcool ? a-t-elle demandé.
– Hydromel ou cervoise, a répondu le serveur en désignant deux chaudrons.
– Cervoise ? Qu'est-ce que c'est ? Du jus de cervelle ? Non, ne me dites pas ! Je vais prendre l'autre truc.
La salle commençait à se remplir. Les gens jetaient des coups d'œil autour d'eux pour admirer les lieux. On avait emprunté des décors de théâtre représentant une forêt de chênes sur lesquels on avait accroché de vraies branches de guis. Pour les Celtes, le monde des morts se situait sous les racines des arbres et non dans les cieux. Au milieu de la piste de danse se dressait le grand feu sacré. Deux panneaux de carton-pâte insérés dans des bûches. Certes, c'était moins chaleureux qu'un vrai feu, mais au moins les gens pourraient danser autour des flammes sans se brûler – c'est ainsi que Marine nous avait vendu l'idée. De toute façon, le comité ayant opté pour une fête en intérieur, on n'avait pas vraiment d'autre option.
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La théorie des cœurs bunkers - Sous contrat d'édition Hachette Romans
RomanceQuand la douleur est trop brutale, on s'invente un cœur de métal. Elsa ne croit plus en l'Amour. Pour elle, l'amour est une construction sociale, un mirage inventé par notre société. Elle enchaîne les ruptures avec brio, fuyant dès que le garçon com...