Chapitre 17

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Quand j'ai voulu aller prendre ma douche le lendemain, l'appartement d'Irlanda était verrouillé. D'habitude, elle laissait toujours la porte ouverte pour que je puisse me faufiler dans la salle de bain même lorsqu'elle dormait. Un petit mot était accroché :

Fermeture temporaire des sanitaires. Merci de votre compréhension.

J'ai soupiré avant de me diriger vers le rez-de-chaussée pour utiliser les toilettes du bas. Dans le couloir, j'ai croisé madame Henkle qui a eu l'air un peu étonnée de me trouver en pyjama. J'ai posé ma paume sur ma bouche pour lui adresser un bonjour en bonne et due forme. Elle m'a renvoyé la pareille. Même si je n'étais pas très bien réveillée, j'ai décidé de revenir à la charge.

– Est-ce que vous avez réfléchi à mon idée concernant le speed dating, au fait d'accepter des personnes qui ne sont pas porteuses d'un handicap ?

Contre toute attente, madame Henkle m'a répondu, ce qui m'a fait douter quant au fait qu'elle m'avait réellement comprise la première fois.

– J'ai prévu d'y inclure quelques-uns de mes élèves qui n'ont pas de handicap et qui sont célibataires.

– Oh, parfait. Donc je peux m'inscrire moi aussi ?

Elle m'a dévisagée comme si je venais de dire quelque chose de vraiment grotesque.

– Vous ne parlez pas la langue des signes.

– J'ai regardé des vidéos sur internet, ai-je menti. Je me débrouille un peu. Et puis ça ne dure que huit minutes par participant, non ?

– Vous feriez mieux de prendre des cours avec moi.

– C'est que... Je suis occupée durant la journée.

Elle a plissé les yeux pour m'observer un instant comme si elle évaluait mon potentiel.

– Laissez-moi au moins vous apprendre à vous présenter correctement.

– Avec plaisir.

Je suis partie chercher mon téléphone pour filmer chacun de ses gestes. J'étais un peu étonnée qu'elle accepte aussi facilement ma participation et, de surcroît, qu'elle m'apporte son aide pour mettre toutes les chances de mon côté. Peut-être qu'il lui manquait une candidate. Peu importe ses raisons. Au final, tout le monde en sortirait gagnant.

Alors que je remontais les escaliers, j'ai songé au changement d'attitude de madame Henkle qui avait longtemps paru méfiante vis-à-vis de moi. Cela n'avait rien d'étonnant. Les gens qui ne me connaissaient pas m'appréciaient rarement de prime abord. Était-ce parce que je ne montrais aucune fragilité qui aurait pu susciter l'empathie ? Était-ce parce que je me donnais un air trop sûr de moi, trop désinvolte ? En fait, je ne faisais aucun effort pour inspirer la sympathie, hormis lorsqu'il s'agissait de séduire un membre du sexe opposé. Contrairement à la majorité des gens, je ne voulais pas qu'on m'aime à tout prix. C'était tellement ridicule de vouloir être aimé sachant que, quoi que vous fassiez, le résultat était incertain. Je préférais paraître dure et indifférente, cela me donnait la sensation d'être invincible.

J'avais vraiment besoin d'une bonne douche après la soirée de la veille, alors j'ai décidé d'aller me laver chez ma mère. Elle n'a pas répondu à mon premier coup de sonnette. J'ai dû insister trois fois avant qu'elle finisse par ouvrir. J'ai tout de suite compris que ça n'allait pas fort, malgré la petite illumination soudaine lorsqu'elle a réalisé que c'était moi. Mais, pendant une fraction de seconde, c'était comme si j'avais vu son vrai visage, un visage abattu, lasse, découragé.

J'ai prétendu que nous avions des problèmes d'eau chaude, puis j'ai gravi les quelques marches menant à l'étage. J'avais l'impression d'avoir une enclume au fond de la poitrine. Depuis combien de temps n'étais-je plus montée ? Une éternité. Une éternité qui n'avait pas effacé l'ombre d'un torse nu qui s'imprimait en filigrane sur les carreaux de la douche, puis sur le lit de mon ancienne chambre où je suis partie m'habiller. Tristan semblait se balader partout dans cette maison, telle une infiltration d'eau qui aurait si bien imprégné le bâtiment qu'il serait impossible de le remettre à neuf. Ma mémoire n'était jamais parvenue à dissoudre totalement son souvenir.

La théorie des cœurs bunkers - Sous contrat d'édition Hachette RomansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant