Chapitre 30

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– Je suis toute ouïe pour vos idées de fête de printemps, a entamé Marine. Qui veut commencer ?

Trevor a levé la main :

– On pourrait s'habiller en vert et dessiner des trèfles sur nos joues. Les filles pourraient porter des bas à rayures avec des petites jupettes de fée clochette.

La présidente a posé l'index sur sa bouche comme pour barrer l'accès à quelques jurons qui auraient pu en sortir spontanément.

– Ton concept me dit vaguement quelque chose. Laisse-moi deviner... Tu as tapé « fête de printemps » sur Google et le premier résultat, c'était la Saint-Patrick.

– Eh bien, je me suis dit qu'on pourrait revisiter le thème, s'est défendu Trevor. Comme quand on reprend une chanson. Ce serait notre version personnelle de la Saint-Patrick.

Marine a secoué la tête.

– Désolée, mais je ne vois rien d'original dans ce que tu m'as décrit. Quelqu'un d'autre ?

Elle nous a tous balayés du regard. J'ai décidé de me lancer. Il y avait plus de chances que mon idée paraisse intéressante après la proposition de Trevor.

– Vu qu'on a fêté le Samain, je me suis dit qu'on pourrait rester dans la lignée des fêtes celtiques et célébrer Beltane. C'était la fête du renouveau au printemps.

– J'aime bien, a lâché Marine. Tu as des choses concrètes à proposer ?

– Beltane est littéralement la fête de la lumière et du feu, donc ce serait bien d'allumer un vrai feu cette fois. Il suffit de trouver un champ et d'obtenir l'autorisation du propriétaire et de la commune. Bien sûr, il faudra respecter quelques consignes de sécurité.

– Et s'il pleut ? m'a-t-elle opposé, toujours très pragmatique.

– Tant pis. Il faut prendre le risque. Cette fête célèbre le réveil de la nature, elle doit se passer en extérieur. On peut toujours prévoir un chapiteau au cas où.

Marine a hoché la tête, m'encourageant à poursuivre.

– Comme pour le Samain, ce jour-là, la frontière entre les mondes visibles et invisibles s'amincit. Pour le Samain, cela permettait à nos ancêtres de nous rejoindre. Ici, les êtres invisibles sont plutôt les fées, les gnomes, les ondines, enfin vous voyez l'idée.

– Donc on allume un feu et on convie les elfes et les fées, a résumé Marine d'un air perplexe. Mais concrètement qu'est-ce qu'on va faire ?

– Ma grand-mère est bretonne, est intervenue Maïwenn. Elle m'a toujours dit que les fées étaient attirées par les plantes aromatiques comme le thym, le romarin. On pourrait s'attacher des petits bouquets garnis autour du cou. La confiture de souci et de violette, elles adorent ça aussi. On pourrait...

Quelques personnes ont éclaté de rire. Marine lui a lâché un regard incrédule.

– Je parlais des animations. Comment on va distraire les gens, pas comment on va attirer les fées.

Maïwenn s'est décomposée. Son visage paraissait à la fois honteux et déçu. J'ai tout de même noté dans mon carnet : thym, romarin, violette, confiture de souci. Ça pourrait servir d'idées pour la déco.

– J'ai fait une liste de toutes les traditions que j'ai pu trouver sur la fête de Beltane, ai-je repris.

– Super. On va pouvoir s'en inspirer. Je t'écoute.

J'ai commencé à lire mes notes.

– Ce soir-là, à la fin de la fête, les femmes choisissent l'homme avec qui elles désirent passer la nuit.

– C'est sexiste, est intervenu Bryan. Pourquoi est-ce que ce serait aux femmes de choisir ? Et pourquoi est-ce que les femmes devraient forcément choisir un homme ?

– On oublie, a tranché Marine. Je n'ai pas envie d'avoir des grossesses non désirées sur la conscience. J'espère que tu as quelque chose de plus convaincant.

– L'emblème de cette fête, c'est le mât de mai. On plante un mât dans le sol, idéalement un tronc de bouleau, et on y attache des rubans colorés. Ensuite chacun saisit un ruban et se met à danser autour du mât. Une partie des danseurs part vers l'Est et l'autre vers l'Ouest de façon à ce que les rubans s'entrelacent jusqu'à ce que le mât soit entièrement tressé.

– Ça a l'air joli, a approuvé Marine avec un grand sourire. J'aime bien l'idée.

Tout le monde a opiné. Le problème, c'est que je n'avais pas terminé. J'ai regardé mon bloc-notes, un peu mal à l'aise, avant de me racler la gorge.

– Le mât représente le phallus d'un dieu. Dans la tradition, les femmes dansent autour pour augmenter leur fertilité.

Bryan a gloussé. Marine paraissait dépitée.

– Bon, on garde l'idée du mât, mais hors de question de révéler à qui que ce soit sa signification.

– Les femmes portent des couronnes de fleurs, ai-je enchaîné pour dissoudre le malaise.

– On garde. Parfait.

– J'ai une dernière suggestion. Ce n'est pas dans les traditions, mais ça correspond bien à la thématique de cette fête qui est celle de la renaissance. Tout le monde pourrait jeter dans le feu quelque chose dont il souhaite se débarrasser pour prendre un nouveau départ.

Marine a scruté les autres membres.

– Je valide. Qu'est-ce que vous en dites ?

– Il y a pas mal de personnes dont j'aurais besoin de me débarrasser pour prendre un nouveau départ, a murmuré Bryan.

– Personne n'a parlé de sacrifices humains ! s'est offusquée Marine, le regard néanmoins amusé. Chacun notera sur un petit bout de papier ce dont il souhaite se débarrasser. Ça me paraît plus prudent.

– Surtout qu'on peut vouloir se débarrasser de choses qui ne sont pas matérielles, a renchéri Louisa.

– Et pourquoi on ne ferait pas un vœu en dansant autour du mât ? a proposé Rachel. On jette au feu le passé qui nous encombre et on adresse au mât un vœu pour notre avenir.

– J'imagine que si on demande un vœu au phallus d'un dieu, il ne pourra pas l'ignorer, a hasardé Bryan.

– On arrête avec cette histoire de phallus ! s'est énervée Marine, ce qui était plutôt drôle à voir. Plus personne ne prononce ce mot. C'est le mât de mai, point barre.

Bryan m'a jeté un regard :

– Est-ce qu'il y aura des déguisements ?

– Je n'en sais rien.

J'ai renvoyé la balle à Marine.

– Je dirais qu'il faut rester dans le thème champêtre, a-t-elle déclaré. Tons verts, bruns et blancs.

– Je suis d'avis qu'on laisse les gens faire ce qu'ils veulent, cette fois, a objecté Bryan. C'est un peu la fête de la libération, non ?

– On en reparlera. Il faut d'abord voir si on choisit ce thème, a répliqué la présidente. Bon, est-ce que quelqu'un a une meilleure idée à proposer ?

Tout le monde est resté silencieux, même Bryan qui avait prévu une fête digne du carnaval de Rio.

– Qui est pour célébrer Beltane ?

Cette fois, tout le monde a levé la main. Soit mon idée avait véritablement séduit, soit tout le monde avait hâte de quitter la réunion pour retourner à ses petites affaires.

– Bon, emballé, pesé. La réunion est finie. Merci, Elsa.

Ça faisait tellement du bien qu'on approuve mes idées pour une fois.


La théorie des cœurs bunkers - Sous contrat d'édition Hachette RomansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant