Chapitre 11

2.4K 285 61
                                    

Deux ans plus tôt

Il était 16 heures lorsque j'ai reçu la première photo. Elle montrait la rue de Tristan recouverte de dix ou vingt centimètres d'eau. Il avait écrit :

Comment ça va de ton côté ?

Je suis sortie pour observer ma rue qui dormait paisiblement, malgré le fleuve qui vivait quelques mètres plus loin.

Tout va bien ici, lui ai-je renvoyé.

Je n'ai plus eu de nouvelles de la soirée. J'en ai déduit qu'il n'y avait rien à signaler et je suis partie me coucher, sereine. Ma mère et moi ne regardions jamais les infos. Il y avait déjà suffisamment de mélancolie dans cette maison pour ne pas y rajouter toute la tristesse du monde.

Je me suis réveillée deux fois cette nuit-là. La première fois, j'ai perçu le hurlement du vent par-dessus la pluie qui mitraillait les vitres. Je me suis dit que c'était la tempête annoncée avant de retourner au pays du sommeil. La seconde fois, il y avait un bruit supplémentaire. Une sorte de craquement ou de grincement. Un bruit que je ne parvenais pas à identifier parce que, de toute ma vie, je n'avais jamais entendu un tel son. J'ai eu un mauvais pressentiment que je me suis efforcée de chasser en me disant que la nuit tous les bruits paraissent bizarres.

À trois heures du matin, l'interphone a sonné. Le mauvais pressentiment est réapparu telle une douleur sourde dans ma poitrine. Cette fois, impossible de me raisonner. Qu'on vienne sonner à notre porte au milieu de la nuit était anormal. Alarmant. Je me suis dirigée vers l'interphone avec l'envie, au fond de moi, qu'un monstre surgisse, m'assurant que ce n'était qu'un cauchemar. Mais il y avait toujours ce bruit bizarre dehors. Un bruit qui paraissait bien trop réel. Tout comme la vague de panique qui s'est jetée sur moi lorsque j'ai décroché le combiné :

– La voiture grise, c'est à vous ?

– Euh oui.

– Il faut la déplacer tout de suite. C'est urgent.

– Qu'est-ce qui se passe exactement ?

Au fond de moi, je le savais. Tout s'agençait comme une issue inévitable. La photo envoyée par Tristan. Les prédictions météo. La pluie intarissable. Le fleuve qui, ces derniers jours, m'avait paru monter bien haut.

– Elle est en train de prendre l'eau.

– OK, je réveille ma mère. Merci.

– Dépêchez-vous. Ça monte vraiment vite.

Je suis partie tenter de réveiller ma mère, mais avec ces maudits calmants, elle peinait à émerger. J'ai vite compris que le temps qu'elle retrouve ses esprits, notre voiture serait complètement noyée.

Alors j'ai attrapé les clefs de voiture et je suis sortie. Lorsque j'ai ouvert la porte d'entrée, la rue devant moi était sèche. J'ai ressenti un bref soulagement. Mais lorsque j'ai tourné la tête, là où la route était légèrement inclinée, j'ai vu le désastre. L'eau dépassait les pneus de notre Peugeot.

Derrière le portail, une femme avec des bottes de pluie m'attendait.

– C'est ta voiture ?

– C'est celle de ma mère, mais elle dort.

– Donne-moi les clefs. Je vais la déplacer. Pendant ce temps-là, va sonner à toutes les portes. Il faut réveiller tout le monde. L'eau ne va pas s'arrêter là.

L'angoisse m'a prise à la gorge. J'ai pensé à Tristan. Si la veille il y avait vingt centimètres d'eau dans sa rue, à quelle hauteur était-elle montée à présent ?

La théorie des cœurs bunkers - Sous contrat d'édition Hachette RomansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant