Chapitre 10

2.5K 284 117
                                    

J'ai réussi à mettre la main sur madame Henkle alors qu'elle se préparait un café dans la petite kitchinette attenante à la salle de danse. Avant d'entamer mon plan d'attaque, il fallait que je rentre dans ses bonnes grâces. J'ai attendu qu'elle tourne la tête pour qu'elle puisse lire sur mes lèvres.

– Écoutez, je suis désolée si vous avez cru que je vous ignorais, mais je ne savais pas comment me comporter avec vous. Je croyais que vous n'entendiez rien du tout.

– J'entends un peu grâce à mon appareil, mais je ne le porte pas tous les jours.

– Hier, c'était la première fois que je vous entendais parler. Pourquoi ne m'avez-vous jamais dit bonjour à haute voix ? Ça aurait été plus facile pour moi de vous rendre la pareille.

– Je préfère respecter un total silence durant mes heures de cours. C'est une façon pour mes élèves entendants de se plonger dans le monde de la surdité.

– D'accord, je comprends.

Maintenant que les excuses étaient présentées, j'ai décidé d'entrer dans le vif du sujet.

– Est-ce que vous avez réfléchi à mon idée concernant le speed dating ?

Madame Henkle a plissé les yeux, lèvres pincées.

– Qu'est-ce que vous avez dit ? a-t-elle demandé, le regard un peu malicieux, ce qui m'a donné l'impression qu'elle m'avait parfaitement entendue.

– Je veux participer à votre speed dating ! ai-je hurlé.

– Désolée, j'ai vraiment du mal à comprendre ce que vous dites.

J'étais sûre qu'elle le faisait exprès, mais évidemment je n'avais aucun moyen de prouver sa mauvaise foi. Accuser un sourd de n'avoir pas entendu est assez compliqué. La porte d'entrée a grincé derrière nous et un élève a fait son apparition. Il nous a envoyé un baiser qui m'a donné envie de tomber à la renverse. Avec ses cheveux noirs, sa peau mate et ses épaules larges, il ressemblait à un gladiateur romain. Si je n'avais pas su que le coup de foudre n'est qu'une illusion due aux hormones, j'aurais juré que je venais d'en avoir un. Je me suis retournée vers madame Henkle qui semblait avoir parfaitement compris l'effet que ce jeune homme avait produit sur moi, mais qui s'est poliment excusée en posant un index sur ses lèvres comme pour me signifier qu'il était temps pour elle de revenir au silence.

Ça, c'est ce que ses lèvres ont semblé dire. Mais son regard, lui, proclamait : « Disqualifiée. » Ce qu'elle n'avait pas compris, c'est que j'adorais les défis. Plus elle tenterait de m'évincer de son speed dating, plus je serais déterminée à y participer.

Je me suis engouffrée dehors en tentant de réfléchir à un stratagème pour la convaincre lorsque j'ai aperçu une silhouette familière postée au bout de l'allée. Une silhouette malvenue. J'ai jeté un œil aux buissons, tentant d'évaluer si je pouvais passer par là. Malgré un doute certain quant à ma capacité à enjamber ces broussailles, j'ai décidé de tenter le tout pour le tout. J'étais en train de filer mon collant lorsqu'une voix derrière moi m'a interpellée :

– Elsa, qu'est-ce que tu fais ?

J'ai pensé que Mattéo était comme une souche de Sumac. Ce sont des arbres qui, une fois abattus, continuent à produire des rejets qui réapparaissent sans cesse, le plus souvent à des endroits où on ne s'y attend pas. Plus vous leur infligez des cicatrices, plus ils deviennent envahissants.

Il m'a tendu la main pour m'aider à me dépêtrer des buissons. Il portait la montre que je lui avais offerte. Ce détail m'a touchée et énervée à la fois.

– C'est plutôt à toi que je devrais poser la question. Qu'est-ce que tu fous là ?

– J'ai des choses à te dire.

La théorie des cœurs bunkers - Sous contrat d'édition Hachette RomansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant