4. L'entrée en scène de la coccinelle

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Arnaud n'osait pas croiser le regard de Jérémy, Le connaissant, il devait sûrement bouillir d'impatience. Arnaud finit par s'en vouloir de profiter à ce point de la situation, et prit soudainement conscience de son audace.

Ce qu'Arnaud ignorait – et que Jérémy n'avouerait pour rien au monde – c'est que les randonneuses avaient disparu depuis un moment déjà. 

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chapitre 4

L'entrée en scène de la coccinelle 

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quelques heures plus tard, Sur l'autoroute vers la Charente - lundi 13 juin 2022 - 13h

– Je crois que la coccinelle a faim, c'est moi qui régale ! dit Arnaud en levant ses deux index l'un après l'autre comme il a coutume de faire.

Après s'être fait offrir son repas au resto d'autoroute, Arnaud tenait à faire le plein de la coccinelle. C'est comme ça qu'il appelait la voiture de Jérémy, parce qu'elle porte le numéro 53 sur l'immatriculation, en référence à un vieux film des années 80 et qu'il a toujours rêvé de monter dans cette mythique voiture.

Et aussi parce qu'elle était rouge. Une fois, il a même collé des gros ronds noirs de papier sur les portières et le capot, hilare. Bon, cela avait abîmé la carrosserie et Jérémy lui en avait longtemps voulu.

Là, l'heure n'était plus à la rigolade. Arnaud sentait l'angoisse qui montait à la perspective du sujet qu'il allait devoir aborder avec Jérémy. Il fallait qu'il ose... Ils avaient parlé de sujets sans importance devant leurs frites d'autoroute trop cuites et trop chères. Aucun d'eux n'avait évidemment fait allusion à leur jeu de cache-cache disons... dangereux de ce matin.

Jérémy avança sa voiture à la pompe et Arnaud sortit avec son portefeuille.

-Hé, Arnaud !

-Quoi ?

-Eh bien... Merci.

Jérémy, resté seul derrière son volant, se laissa aller à somnoler. 

Il se retrouva vite dans un champ de ouate, avec des oiseaux qui chantaient et de la neige dorée qui tombait. Une douce musique surgit d'on ne sait où, quelques arpèges délicats au piano, puis un tempo lent de batterie... C'était magnifique. Soudain, sur cet écrin auditif, apparut alors comme un bijou, une mélodie magique, entêtante. Elle était claire et distincte, mais délicate comme murmurée au creux de l'oreille . Jérémy courait dans l'herbe folle en cherchant d'où venait la musique, il ne voulait qu'elle ne s'arrête jamais.

Jusqu'à ce qu'une portière s'ouvre bruyamment. Jérémy sursauta.

–ça y est la coccinelle a mangé. On se casse ? fit Arnaud en claquant la porte. Il attrapa son téléphone et vérifia l'adresse du GPS. - Zut, reprit-il, un appel en absence. C'est Mickaël, tu aurais pu décrocher Jérémy !

Hein ? Ah... Je n'ai pas entendu ton téléphone. Je me suis endormi, expliqua-t-il.

Oh, c'est mignon... Bon, je vais prendre le volant maintenant, c'est plus prudent.

Plus prudent avec toi au volant, faut pas exagérer, taquina Jérémy, mais va pour échanger de place !

Tu en profiteras pour recharger ton téléphone et rappeler Mickaël. C'était sûrement TOI qu'il voulait avoir, mais il n'a pas pu, parce que ton téléphone est à plat, je te rappelle ! dit Arnaud en pointant son doigt vers le bout du nez de son ami.

– Qu'est-ce qui te fait dire que c'est moi qu'il... ?

Arnaud regarda Jérémy en haussant les épaules, l'air de dire " Gros nigodouille, c'est évident non ? "

Mickaël était l'associé de Jérémy depuis de longues années. Ils avaient monté à eux deux plusieurs sociétés de production, afin de donner les moyens aux artistes d'exister, mais aussi de diminuer les intermédiaires afin de réduire le prix des places pour les spectateurs et d'augmenter les revenus pour les artistes. Homme de l'ombre, Mickaël faisait preuve de sens pratique et rendait souvent possibles les rêves de Jérémy. 

Arnaud prit le volant de la voiture de Jérémy, direction l'endroit qu'il avait programmé en secret dans son téléphone, la Dune du Pilat. Il tenait à faire découvrir à Jérémy les richesses de la région et appréciait que Jérémy lâche prise sur la destination - nuit comprise. Là dessus, pensa-t-il, Jérem' n'allait pas être déçu.

Pendant qu'Arnaud se projetait dans les doux moments à venir, Jérémy était en discussion animée avec Mickaël au sujet de la comptabilité. Arnaud était impressionné par l'aplomb et la maîtrise apparente de Jérémy dans ces domaines, pourtant autodidacte. Etait-ce possible qu'il ait quitté l'école à 16 ans, sans son bac, et qu'il soit aussi à l'aise avec le financier, autant que le juridique et le marketting ? 

Mais la discussion s'envenimait, si bien qu'excédé par son associé qui ne voulait rien entendre, Jérémy mit son téléphone en mode avion et tâcha de retrouver le sommeil, vu les kilomètres qu'il restait à parcourir.

Il retrouva le même champ rempli de ouate... la même neige dorée... et soudain, les mêmes notes délicates de piano...

Il s'allongea en s'enfonçant dans le coton, la tête près de la rivière nacrée. Là, la tête calée dans un grand nuage doux et chaud, il était aux premières loges pour entendre la mélodie magique, qui, comme la dernière fois, venait s'ajouter au piano et à la batterie.

Une heure plus tard

Arnaud conduisait la coccinelle de Jérémy depuis une heure déjà. Cela faisait des mois qu'Arnaud repoussait le moment d'avouer à Jérémy ce qui l'obsédait. Ces deux jours allaient être les bons. Arnaud regardait le compteur et se disait " Il faut que je lui dise avant que j'atteigne les 150 000 kms". Il lui semblait que s'il laissait passer ce délai, jamais plus il n'allait pouvoir le faire. Il regarda la compteur .... 149 954 Km... "petite coccinelle de Jérémy, c'est sur toi que tout repose" ... il lui restait peu de temps.

Il se souvint alors qu'il y avait un joli petit village au bord de l'autoroute, une dizaine de kilomètres plus loin. Il décida d'y faire une halte afin de se lancer, enfin. Jérémy adorerait son bar avec les transats sous l'olivier, ça lui rappellera sûrement sa maison de vacances dans laquelle il se rendait tous les étés.

Clignotant à droite.

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Le Vol de la CoccinelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant