52. Envisager le rosé

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Tous savait que Laura avait raison. Ayant entendu les premières notes, Capucine et Artus se retenaient de ne pas murmurer l'air de la chanson, qu'ils avaient très bien en tête car ils l'avaient tous chanté au petit déjeuner.

Baptiste jeta un coup d'oeil à Jérémy. Il n'était pas le seul : tous scruptait l'homme brun, qui triturait ses boutons de manchettes et cachait sa mine derrière ses lunettes de soleil. Comment allait-il réagir ?

***

chapitre 52

Envisager le rosé 

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Toujours appuyé contre le mur de la véranda, Jérémy avisa le cubi de rosé. Machinalement, il chercha des yeux, sur la table recouverte de nappe en papier, un grand shaker, histoire de verser de la glace pilée et de compléter par le vin, pour s'enquiller quelques litres, comme au bon vieux temps.

Sa chanson. Sa musique.

Être sobre pour recevoir un coup pareil relevait du miracle. Aux premières notes, son sang s'était glacé. Entendre ainsi sa propre mélodie chantée par quelqu'un d'autre lui donnait la nausée.... Il se revoyait au piano, s'acharnait pour trouver les bons accords. Il voyait le regard admiratif d'Andy, puis de Laura. Il se rendit compte à quel point il était fier et attaché à ce petit acte créatif, loin des sentiers battus. Il se souvint avoir été acculé, puis finalement sauvé, par une Laura qui voulait prendre sa chanson par la menace. Il se souvint du soulagement qu'il avait ressenti quand la blonde lui avait dit qu'elle y renonçait. Aujourd'hui, ce soulagement avait des airs de trahison. C'est juste Arnaud Joyet qui s'était emparé du travail, de son travail...

Son regard se posa sur Andy, ses yeux savamment maquillés lui suppliaient d'intervenir. Il savait que sa compagne y attachait d'importance. Andy avait raison : depuis une semaine, ils s'étaient éloignés l'un de l'autre. Évidemment. Jérémy ne put s'empêcher de serrer les dents. Pour tout dire, entre elle et lui, une seule activité les reliait encore : cette musique. Lui, au piano, elle, à la danse.

Oui. L'ironie du sort voulait que depuis deux semaines, les seuls moments de véritable complicité furent ces instants autour de cette musique. Le reste du temps, quelque chose s'était fissuré, et son départ demain en Afrique n'arrangeait pas les.choses. Qui osait encore leur prendre le peu qui leur restait, qui osait menacer cet équilibre si précaire ?

QUI ?

Il se remémora la discussion qu'ils avaient eue la veille. Andy lui avait fait comprendre à mi-mot que c'est sur cette musique qu'elle voudrait monter les marches de la mairie si un jour ils choisissaient de se dire oui pour qu'elle change de nom. Et aujourd'hui, ironie du sort, Andy lui fait part de ses doutes dans la voiture, et un quart d'heure après, la chanson est jouée par un autre sans son consentement.

Mais pas n'importe quel autre : Arnaud.

Coup de poignard dans le dos. L'enculé. Jérémy n'était déjà pas convaincu par le projet de son ami, qu'il n'avait déjà pas hâte d'entendre. Le problème, c'est que chanter mal ses propres chansons moches, c'est déjà emmerdant, mais chacun s'assume. Jérémy aurait été prêt à la discussion avec Arnaud... Discussion demandée par l'écriture au marqueur sur le dos de la main. Mais compléter l'album en chopant la mélodie de son meilleur pote pour apporter un titre supplémentaire était...décevant, Indigne, immoral, écœurant. Mais qu'allait-il imaginer ?

Arnaud... Comment a-t-il pu lui faire ça ? Où est l'amour propre et la fierté là-dedans ? Il jeta un regard vers Mickaël. Combien de fois Jérémy et lui s'étaient engueulés parce que Mickaël minimisait le vol de la propriété intellectuelle ?

Le Vol de la CoccinelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant