14. "ESFEINTAC"

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"Bien, maintenant, direction le resto chinois à la recherche de mon portefeuille. Au pas de course, il me reste 50 minutes avant mon train...Il est sûrement là bas..." 

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 chapitre 14 

"ESFEINTAC" 

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Paris, 10h

Jérémy arriva aux 2 pianos, un bar du 15e dans lequel il avait ses habitudes. Il s'installa à une table et dégaina son telephone. Il avait rendez vous avec un écrivain, Bernard Réverbère, dont il gérait une partie de la carrière. L'homme de lettres n'était pas encore là mais tanpis, la soif le tiraillait.

Au moment où il commandait un Perrier citron, "bip", une photo lui parvint sur son téléphone.

Mais quel abruti, pensa Jérémy affectueusement en observant la photo hilarante des punaises

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Mais quel abruti, pensa Jérémy affectueusement en observant la photo hilarante des punaises...qu'est-ce qu'ils avaient ri quand ils avaient fait semblant de chercher la punaise imaginaire dans le sable lundi après midi, et lorsque les badauds, serviables, les avaient aidés. Il répondit au message d' Arnaud :

Moi  à  Arnaud - 10:04 -  "La blague est foireuse mais au moins je vais enfin pouvoir récupérer mes punaises, depuis le temps que tu me les dois. JTTF. Non je n'ai pas. Vu ton portefeuille, il doit être qqpart avec ton cerveau"

Moi à Arnaud - 10 :05 -  "et dis donc t'as pas un train à prendre plutôt que d'aller faire peur aux enfants dans les parcs de jeu ?"

-Et un Perrier citron. Tenez, Monsieur Ferrari.

-Merci.

Les yeux dans le vague, tenant distraitement sa rondelle de citron du bout des doigts et de l'autre fumant sa vapoteuse, Jérémy tenta d'abord de retrouver dans ses souvenirs la vue qu'il y avait tout là-haut. Il se lécha les doigts citronnés, l'un après l'autre, l'esprit ailleurs. Voyons, en vrai c'était comment, déjà, au sommet de la dune ?

Tout à coup, la mémoire lui revint et le rouge lui monta au joue. Jérémy n'était jamais parvenu en haut de la dune avec Arnaud. Oh, ils avaient bien essayé d'y monter, mais, justement avec l'histoire de la punaise, ils étaient tombés. En bas. Oui, se dit amèrement Jérémy en repensant au visage d'Arnaud près du sien, allongés l'un sur l' autre sur le sable, oui, tout en bas. Il eut un rictus. Il était tombé bien bas, c'est le cas de le dire. Au tapis, tel un judoka débutant. Il avait été ridicule. Qu'est ce qu'il lui avait pris ?

Tout lui revint en mémoire.

Bien malgré lui, Jérémy se retrouva plongé sous le soleil d'Arcachon, les pieds dans le sable, en compagnie de son ami. Soudain, ce fut comme s'il entendait un "crac". Toutes les émotions qu'il avaient ressenties cet après-midi-là se manifestaient subitement sans crier gare. Et comme un barrage dont les jointures cèdent sous le poids de l'eau, il se retrouva anéanti.

Car Jérémy en avait déployé, de l'énergie, pour vivre l'instant présent. Il connaissait bien son fonctionnement intérieur : garder la face en toutes circonstances.

Hypersensible mais refusant de le laisser paraître, il était passé maître dans l'art de décourager les curieux. Il s'était construit sur mesure une carapace de type contre qui il ne faut pas se frotter.

Années après années, il avait développé tout un arsenal d'armes redoutables qui faisaient tomber l'adversaire à tous les coups :

-Premièrement, esquiver par un air ennuyé et désabusé. Fuir certaines personnes. Jouer l'indifférence.

-Deuxièmement, feindre avec l'humour. Faire rire pour détourner l'attention, trouver une formule astucieuse. L'art de la répartie.

-Troisièmement, si besoin, attaquer avec des répliques cinglantes, voire méchantes. Blesser.

ESquiver.

FEINdre.

AtTAQuer.

Il s'en était fait un mantra avec les premières syllabes.

ESFEINTAC.

Éviter les émotions était devenu un art martial comme un autre.

Mais là, sur le tatami des sentiments, Jérémy venait de bêtement poser le pied sur une punaise.

C'était allé très vite. Il se revoyait, le fou-rire le prenait irrésistiblement, il dévalait la pente. Arnaud s'accrochait à lui pour tenter d'éviter la chute, comme si Jérémy allait pouvoir lancer un crampon dans le sable. Plus bas, il s'était retrouvé allongé, l'oreille contre le coeur d'Arnaud qui battait la chamade. Son judoka intérieur souffrait. Le bien-être. Bim, Une droite. L'odeur d'Arnaud. Bim, une gauche. En se relevant, Jérémy s'est retrouvé comme englué dans les yeux d'Arnaud. Le piège. Les lèvres tentatrices. Un genou à terre. Vite, voyant sa prise se refermer, Jérémy sortit son arme n°3 : l'attaque.

" Tu es couvert de sable, Arnaud, c'est dégueulasse", avait-il sorti en essayant d'y mettre le plus de dégoût possible dans la voix.

En espérant qu'Arnaud ne se rende pas compte qu'il n' avait, en réalité, pas une once de sable sur son visage.

Jérémy avait alors roulé sur le côté, croyant s'en être sorti. Mais les sentiments étant un adversaire coriace, le déglutissement et le regard d'Arnaud avaient asséné un coup supplémentaire à son judoka intérieur. K.o. Il s'était donné alors le temps de se relever, comme sur un ring. Tel un boxeur à terre tentant de retrouver ses forces pour se relever sous le décompte impitoyable de l'arbitre, il avait alors frotté doucement le visage d'Arnaud en comptant doucement jusqu'à quinze.  Evitant de justesse le hors-combat effectif de son coeur.

Dans un ultime sursaut de survie, il s'était relevé et avait déclaré, d'un ton feignant l'impatience " Tu viens ? Gabriel va nous attendre".

Les paupières de Jérémy se refermèrent brutalement. Tous ces muscles de son corps se contractèrent d'un seul geste. Arnaud est une ordure.

Paris, 10h30

Bernard Réverbère, tout en sueur, montait quatre à quatre les escaliers de la bouche de métro. Il répera le bar où il avait rendez vous. Une demi-heure de retard... il avait bien essayé de joindre Jérémy pour le prévenir, mais aucune réponse, on capte mal dans le métro. Il était terriblement confus, il savait Jérémy très ponctuel. Il longeait les tables tout en préparant ses excuses, à la recherche du jeune homme.

Personne en vue. Il essaya encore de le joindre sur son téléphone. En vain. Il finit par s'adresser au garçon de café :

-Excusez-moi de vous déranger, j'avais un rendez vous à cette terrasse avec Jérémy Ferrari... ?

- Par ici, je vous prie. Il vous at...

L'employé s'arrêta net et poussa un cri. Jérémy avait disparu, la table était par terre, comme mise K.O. Des débris de verre jonchaient le sol au milieu d'une flaque de Perrier.

Et là, au milieu des tessons de verre, comme une balle perdue sur les lieux du crime, trônait une rondelle de citron éventrée.

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Et voilà pour la livraison de ce mardi ! je vous dis à vendredi, 17h, avec  un seul chapitre, l'épisode 15 qui s'appelle " irresponsable"

Le Vol de la CoccinelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant