8. Les bouchons

222 21 69
                                    

Jérémy se frotta vigoureusement les mains, se contenta de tendre sa main pour relever Arnaud, sans mot dire, puis s'éloigna sous son regard médusé.

- Bon, tu viens ? dit Jérémy. Gabriel va nous attendre.

*** 

chapitre 8

Les bouchons 

***

Lundi 13 mai, 20h

Arnaud planait, tandis qu'ils faisaient route vers Bordeaux. Il crut un temps que plus rien n'allait être comme avant. Ce regard intense sur le sien, si près de lui...

L'heure qui suivit, Arnaud se sentait comme dédoublé.

Une partie de lui se trouvait côté passager de la coccinelle, dans les embouteillages. Son corps était bien là, assis et attaché, ses oreilles entendaient les jurons de son ami, son oeil voyait le bonhomme rouge discuter avec un piéton sur le passage clouté. (quand le bonhomme rouge laissa la place à un bonhomme plus bavard, vert celui-là, Il sourit. Un homme, le visage arrondi caché par ses cheveux noirs, râlait sous prétexte que la dame devant elle, avec sa hanche en plastique n'avançait pas assez vite).

Mais une autre partie de lui était toujours allongée sur la plage, en train de sentir qu'on lui ôtait le sable, par ce qu'il percevait être une douce caresse, du bout du pouce. Ce même pouce droit qu'il voyait en ce moment appuyer sur le clignotant. Clic - clac - clic - clac..... Il croyait entendre son ami. Un - deux - trois - quatre...

Les deux Arnauds soupirèrent : les seuls nombres qu'on entendait de la bouche de Jérémy en ce moment, c'était des insultes basées sur les numéros de départements des voitures qui avaient le malheur de se trouver devant la coccinelle.

- 22... C'est quoi ça... Côte d'Armor !!! Connard de Breton, retourne d'où tu viens et fais pas chier !

 Côte d'Armor !!! Connard de Breton, retourne d'où tu viens et fais pas chier !

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

hoto : fabuleux compte insta #jeremyferraripage

- Mais ARRÊTE de t'énerver comme ça : la Renault devant, elle est aussi emmerdée que toi d'être bloquée dans les bouchons !

- Je suis sûr que non, elle doit y prendre du plaisir la garce. Ah je ne supporte pas d'attendre. On aurait dû partir plus tôt, regarde, on a déjà un quart d'heure de retard et il y a de la place nulle part pour se garer.

Arnaud osa, le doigt sur la bouche et l'œil qui pétille :

- Remarque, hé, une Renault, surtout de Bretagne, ça aime bien les bouchons. Renaud, comme le chanteur. Ça aime les bouchons à déboucher. Surtout à Bordeaux.

Jérémy ne releva pas et répondit avec patience :

- Arnaud, s'il te plait. Trouve-moi l'adresse du parking souterrain le plus proche du resto, histoire de ne pas avoir deux heures de retard.

- T'es sûr ?

- Je prendrai sur moi. Je déteste être à la bourre.

Devant ce Jérémy tendu et énervé, le Arnaud resté à la plage disparut progressivement en haussant les épaules, et laissa enfin les commandes au Arnaud derrière sa ceinture de sécurité, qui devait agir vite et rechercher le parking.

Jérémy pestait :

- Je ne voulais pas mettre les pieds dans un parking souterrain, regarde moi ça, c'est immonde, ça pue la pisse dans les escaliers, on va attraper des saloperies !

La réalité frappa Arnaud en plein visage. Il se rappela que Jérémy était atteint de troubles obsessionnels, et que s'il l'avait regardé la mâchoire crispée tout à l'heure, ce n'était pas qu'il avait une gueule d'ange. C'est simplement qu'il avait une gueule pleine de sable que Jérémy considérait sûrement comme des bactéries prêtes à s'attaquer à lui. "Il tenait à moi, voulait me sauver. Il a dû même prendre sur lui pour me débarrasser de je ne sais quelle maladie incurable, Dieu sait ce qui lui passait par la tête. Mais.. c'est tout. ça ne dit rien de plus sur nous deux. Ni en bien, ni en mal". 

Bordeaux, lundi 13 Juin 22h30

Les deux amis avaient dîné dans un restaurant chinois du centre ville avec une connaissance commune. C'était la seule contrainte qu'avait imposé Jérémy à Arnaud durant leur séjour à Bordeaux. Il s'agissait en effet de Gabriel, un humoriste qui commençait sa carrière et demandait des conseils à Jérémy. Il fut largement servi : celui-ci passa le repas à l'encourager. "Lance-toi, essaie, sors des sentiers battus, tente des trucs" ... " Ne cherche pas à faire ce qui est populaire"... "N'hésite pas à surprendre"... Jérémy, en grand professionnel, avait le don pour booster l'égo de ses amis et leur insuffler l'énergie nécessaire.

Arnaud écoutait Jérémy, fasciné. Il était toujours impressionné par sa force de conviction et ses talents d'orateur. Il n'oubliait pas qu'il y a quelques années, c'était lui que Jérémy avait sorti de la dépression, c'était lui à qui Jérémy avait dit "Allez, bouge toi les fesses". C'était grâce à Jérémy qu'il était remonté sur les planches et avait connu à nouveau le succès, après quelques années d'essoufflement.

- Merci, les gars ! Vous revenez quand vous voulez ! Alors, vous trouvez comment, la ville de Bordeaux ? fit Gabriel, le régional de l'étape.

- Attends, on vient d'arriver, expliqua Arnaud.

- Dans la voiture, on arrive dans la ville, et là je dis à Arnaud " on passe une soirée sans jeu de mot sur Bordeaux". Résultat : il a tenu CINQ MINUTES, fit Jérémy catégorique, en se claquant la main sur la cuisse et en se pinçant les lèvres.

- Elle était drôle, au moins, la blague ?

- À ton avis !

Arnaud ne chercha pas à se défendre, il était trop occupé à rire. Il savait que plus Jérémy était méchant avec lui... moins il le pensait.

Après avoir pris congé d'un Gabriel revigoré, les deux compères rentraient à pied direction un appart'hôtel bordelais qu'Arnaud avait réservé pour deux nuits - dont une avec Jérémy.

.... .... ....



Le Vol de la CoccinelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant