partie 19

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Maryland

Février

Louve broyait du noir depuis le départ de Lincoln, une semaine plus tôt. Elle n'y avait pas cru, il ne pouvait pas lui faire ça. Partir, du jour au lendemain, comme un lâche, sans un au-revoir. Il connaissait son histoire, le départ de sa mère 13 ans en arrière. Il avait osé lui infliger cette douleur, lui ranimer sa peur de l'abandon.

Louve était furieuse et inconsolable, elle vivait avec une douleur qu'elle ne pouvait même plus assimiler. Le départ de son amant l'exposa seule à ses démons. Elle ne savait pas comment se pardonner, elle ne l'envisageait même plus.

A l'extérieur, on entendait un fracas qui provenait du premier appartement au rez-de-chaussée. Louve, en pleine crise de nerf, envoyait valser tout ce qui lui tombait sous la main. Des assiettes, des cadres photos, de la petite décoration... Elle termina la dernière bouteille de rhum au goulot avant de l'envoyer également dans le décor. Elle se trouvait pathétique et immature, mais ça faisait un moment que son estime de soi était inexistante.

Louve, adossée contre le bar de la cuisine, fixa son appartement. Elle constata les dégâts de ces dernières soirées arrosées. Des débris de verre, des plumes d'oreillers, des bouteilles vides étaient éparpillés partout dans le salon. Personne n'aurait deviné qu'une jeune femme de cinquante kilos seulement avait fait autant de bordel. Elle se leva, enfila des gros chaussons de Noël avec des petites cloches avant de fourrer ses affaires dans son sac et de sortir de l'appartement. Elle s'installa dans celui d'à côté, le numéro 222. Elle lança ses affaires sur le canapé avant de faire le tour des placards de la cuisine, elle avait une faim de loup. En passant devant le miroir de la petite salle de bain, elle grimaça. Même dans ses souvenirs, les lendemains des plus grosses soirées arrosées qu'elle avait vécu, elle ne se retrouvait pas dans un état pareil.

Après avoir grignoté quelques gâteaux en sachet elle décida de se préparer rapidement. Elle se passa une lingette sur le visage, s'habilla, tressa ses cheveux avant de préparer un petit sac à dos et de sortir.

L'hiver dans le Maryland était un tout autre niveau de survie, la jeune femme l'avait vite remarqué. Elle se souvenait d'une des disputes qu'elle avait eu avec Lincoln plusieurs mois en arrière, il lui reprochait de vouloir scinder le groupe pour plus de confort. Elle n'avait pas compris sa réaction qu'elle avait vécu comme exagérée. Elle comprenait désormais contre quoi il l'avait mise en garde.

Malgré les basses températures et ses hangover Louve aimait rester active, elle ne supportait pas de rester enfermée à rien faire et de toute manière elle devait toujours se ravitailler régulièrement.

Elle se rendit dans une petite station service qu'elle connaissait bien. A l'intérieur elle récupéra quelques provisions de la station, qu'elle avait stocké dans les congélateurs. C'était une cachette plus efficace qu'on pouvait le croire, les vivants avaient pris l'habitude de ne plus ouvrir les frigos et congélateurs à force de tomber sur des aliments en dégradation couverts de verts et autres insectes repoussants, sans parler de l'odeur... Elle avait pris le soin de vérifier leur propreté avant de cacher ses conserves, ses bouteilles et paquets de confiseries.

En enfilant son sac à dos plein, un cri déchirant résonna dans la station service. Par réflexe Louve avait déjà un poignard en main. Elle guetta par les vieux stores de la station la scène. Une femme d'une quarantaine d'année venait de s'écrouler sur le sol, poussée par une femme plus jeune. La femme au sol tendait les bras vers une petite fille en articulant des phrases que Louve ne pouvait discerner. La petite fille en question était retenue par un homme plus vieux.

Des scènes comme celle-ci, Louve en avait déjà assisté à beaucoup depuis le début de l'épidémie. C'était souvent des familles recomposées, qui reprenaient la garde de leur enfant d'une manière brutale, ou parfois même des couples qui volaient des bébés ou des jeunes enfants. Vivre une grossesse dans un monde comme celui-ci était beaucoup trop dangereux, mais certains couples refusaient de passer à côté d'une vie de famille. C'était cruel mais pas si inhabituel.

Même si elle ne s'était jamais imposée dans ce genre de situation, elle en avait déjà vu d'autres le faire et le regretter, c'est le regard de la petite fille face à l'homme qui la sortit de son immobilité; elle avait l'impression d'y lire "aidez-moi, je préfère mourir que de partir avec lui".

En quelques secondes, Louve se manifesta en plantant un poignard sur le sol, à quelques centimètres du pied de l'homme.

- T'es qui toi ? demanda-t-il hargneusement

- Je suis là pour la petite, répondit-elle.

La femme au sol gémissa, l'autre plus jeune s'énerva contre son compagnon.

- Viens on part chéri, on en trouvera une autre, souffla-t-elle en désignant la petite du regard.

- C'est elle que je veux, renchérit-il en serrant le bras de la fillette qui poussa un petit cri de douleur.

En entendant le cri de son enfant, la femme au sol se jeta instinctivement sur l'autre femme qui fut déstabilisée par la surprise. Louve en profita pour s'avancer vers l'homme, mais au dernier moment, il leva un glock 17. Elle s'arrêta net, les mains en l'air. Le combat des femmes à côté cessa lorsque la maman se prit un énième coup dans le ventre.

- On fait moins les malignes maintenant ? Petites salopes.

- On y va, conclut la plus jeune des femmes avant d'attraper la petite fille et d'avancer.

La femme au sol tremblait, Louve ne bougeait pas d'un cil. L'homme derrière son arme souriait diaboliquement, il passa sa langue sur ses lèvres de manière provocante avant de faire semblant de tirer. Il rangea finalement son arme avant de rattraper sa compagne et la fille qui s'étaient enfoncées dans la forêt. Louve rejoignit la femme au sol, après quelques secondes à fixer les bois.

- Vous pouvez vous relever ?

- Ma petite fille, sanglota la femme.

- Je sais... Levez-vous, je vais vous aider.

Une fois debout, la femme prit brusquement Louve dans ses bras, avant de fondre en larmes. La jeune femme ne s'attendait pas à ça, elle qui n'était pas tactile ne savait pas comment se comporter face à son malaise. Elle coupa l'étreinte après une vingtaine de secondes en posant une main sur l'épaule de son interlocutrice.

- Je vais vous chercher à boire.

Lorsqu'elle mit un pied dans la station, deux larmes glissèrent sur ses joues. Elle inspira longuement pour se calmer, elle ne devait pas craquer face à la situation. La seule qui le pouvait c'était la mère de la petite. Elle prit une bouteille d'eau et une barre de céréales avant de retrouver la femme.

- Tenez.

Si Louve avait failli craquer sous l'émotion, la maman semblait avoir retrouvé son courage.

- Merci. Il faut que j'y aille, je vais récupérer ma fille.

- Comment ? demanda Louve déstabilisée par ce changement d'attitude.

- Je sais où ils vont, je les suivrais et j'attendrais le bon moment pour agir.

- Vous êtes très blessée, vous ne ressentez probablement pas les dégâts de votre altercation avec l'autre femme à cause de l'adrénaline. Mais je ne serais pas étonnée que vous ayez les côtes fêlées.

- Je ne m'attends pas à ce que vous me compreniez, coupa-t-elle en lui prenant les mains, mais j'ai à vous remercier, pour avoir tenté de vous interposer.

- C'est normal, répondit Louve mal à l'aise.

La maman lui fit un signe de la tête, avant de suivre le chemin emprunté par le couple.

Quelques secondes plus tard, Louve la rejoignit à ses côtés.

- Vous n'êtes pas obligée...

- Je sais.

- Je m'appelle Jeanne.

- Louve. 

you are alive (TWD) TOME 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant