3 - L'émancipation du groupe

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Cela faisait déjà quelques mois que c'était chancelant et le monde entier se doutait que ça allait finir par arriver. Cette fois, c'était officiel, Paul McCartney l'avait annoncé en avril dans un communiqué de presse, les Beatles se séparaient. Rien n'était immuable en ce monde. Il tournait et tournait encore en une constante mutation. Mais ce n'était pas une fatalité. Il fallait parfois changer pour avancer. Ce qui semblait être une catastrophe pouvait être un mal pour un bien. Il allait y avoir des albums solos de chacun des membres du groupe et peut-être qu'un jour ils feraient de nouveau un disque ensemble pour le plus grand bonheur des fans. Plus rien n'allait entre les petits gars de Liverpool, alors pourquoi insister au risque de faire de moins bons morceaux. Camille n'était pas triste, elle se délectait du Maybe I'm amazed de son cher Paul quand ses parents étaient absents et qu'elle pouvait sortir le disque qu'elle cachait sous son lit. Elle se l'était payé avec de l'argent qu'elle avait ponctionné sur la recette de la quête durant plusieurs messes du dimanche. Elle était toujours bénévole pour le faire et profitait du temps où elle se dirigeait vers la sacristie pour se servir. Un vrai tour de passe-passe digne des plus grands magiciens. Elle n'en était pas fière, mais charité bien ordonnée commence par soi-même.

Ce qu'elle avait retenu de cette période difficile pour son groupe préféré était que quand rien ne va plus avec ceux avec qui vous collaborez il vaut mieux partir pour essayer de faire mieux tout seul.

Cela faisait déjà plus d'un an depuis la tragédie de juin 69 dans la chambre de Michèle et Camille avait compris que sa haine pour son père ne se dissiperait pas. Elle se devait donc de fuir à son tour un univers toxique où rien ne se passerait d'intéressant pour elle. Un univers où un responsable de famille avait pu frapper sa fille en toute impunité sous le couvert de la logique du patriarcat. Personne n'avait trouvé quelque chose à redire à cela. Avait-il le droit de vie et de mort sur sa famille sous prétexte qu'il en était le chef autoproclamé ? Apparemment, c'était le cas dans cette drôle d'époque où ils vivaient.

Il avait été plus compliqué pour lui de se justifier auprès de M. Vidal pour la dégradation des disques, mais surtout pour le corps inconscient de Michèle. Ça avait donné lieu à un conflit violent où un père réclamait justice pour sa fille, tandis qu'un autre accusait la sienne de cette situation. Les petites filles n'étaient pas toujours logées à la même enseigne et cela dépendait souvent du père. Le fervent catholique avec ses belles histoires sur l'amour universel et le pardon n'avait pas fait le poids face à un amour dénué de principes éculés, un amour pur. Camille avait repris connaissance pour voir cette confrontation de deux conceptions de la famille très différentes et elle avait été jalouse de son amie. Elle lui avait envié ce père qui était un bouclier puissant prêt à tout pour défendre la chair de sa chair contre la barbarie d'une éducation autoritaire inadaptée à son temps.

Quand Michèle était sortie de sa léthargie à son tour, elle s'était précipitée entre les deux hommes et à la surprise de tout le monde elle avait pris la défense du père de Camille. Elle avait défendu l'argument auprès de son parent qu'elle était la source de cette colère soudaine. Elle avait inventé alors une histoire de doigt d'honneur tendu vers la fenêtre en un geste de provocation, à l'instar des mouvements anticonformistes qu'elle avait côtoyés pendant son séjour en Angleterre et qui conchiait l'autorité parentale. Monsieur Dupont était survenu au même moment et l'avait pris pour lui, pensant que Michèle essayait de faire de sa fille une débauchée anarchiste.

Elle avait demandé en regardant droit dans les yeux de René la confirmation de ces faits. Il n'avait pas protesté, trouvant ainsi une sortie presque honorable. Plus honorable que d'avoir à expliquer qu'il avait une fille lesbienne, ce qui n'était pas la vérité pour Camille. Elle avait eu une attirance pour sa voisine, mais ne se sentait pas particulièrement homosexuelle. Ressentir de l'amour pour quelqu'un n'était nullement pour elle une orientation quelconque.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant