22 - La visite

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Camille marchait dans un long couloir blanc vers une personne inconnue qui avait décidé de la rencontrer. Ce long couloir était totalement dépersonnalisé, tout comme elle l'était elle-même. Elle était vêtue d'une longue chemise de nuit blanche, aussi blanche que les murs. Pas de tableaux, pas de fenêtres, pas de vies, que des cris troublant le silence. Des cris venant de loin, mais qui auraient pu tout aussi bien être les siens.

Était-elle déjà sortie de sa chambre ? Elle n'aurait su le dire. Avait-elle déjà marché dans ce couloir ? Elle n'en était pas certaine. Elle suivait un soignant portant une blouse blanche. Elle en avait assez du blanc. L'avait-elle déjà suivie ? Trop de questions pour peu de réponses.

Au bout de leur route aseptisée, une porte. Blanche. Où menait-elle ? Une ouverture vers la rédemption ou vers la damnation ? Tout espoir l'avait quitté. C'était ici qu'elle allait finir ses jours. Elle était encore jeune, ce serait long. Sauf si elle dormait. Mais pour son plus grand malheur, elle ne s'assoupissait que par petites phases, pas du tout réparatrices. Le matin, le soir, la nuit, ça n'avait plus aucun sens pour elle. Dans ses rêves, elle était allongée près d'une rivière. Le soleil réchauffait sa peau. Elle entendait le chant des oiseaux à peine couvert par celui de l'eau qui ruisselle. Le vent faisait bouger ses cheveux. Ils lui chatouillaient les épaules. Elle sentait l'effluve des fleurs environnantes. Dans sa bouche, le goût du marbré au chocolat de sa grand-mère encore chaud. Ainsi étendue, elle suivait la course des nuages dans un ciel bleu azur. Camille s'était construit son petit paradis mental. Elle s'y sentait bien, mais pas forcément sereine. Rien ne durait, elle le savait. Elle profitait du calme avant la tempête. Elle savait que sa vision d'un monde parfait allait forcément basculer dans l'horreur. Ça arrivait à chaque fois qu'elle fermait les yeux. Soudainement, une main venait la tirer de sa parenthèse enchantée pour la saisir à la gorge. Une voix lui disait qu'il les connaissait les putes dans son genre. Elle sentait la pression s'exercer sur son coup puis se réveillait en panique, suffocante. Des microsommeils de cauchemars, ça n'était pas une vie.

L'infirmier qui l'accompagnait ouvrit la porte au bout du couloir.

Le soleil. La lumière l'éblouit. Les taches de couleurs qui apparurent derrière ses paupières furent pour Camille une bénédiction. Elle avait oublié ce qu'était la lumière naturelle dans son monde de néons froids. Sa peau l'absorbait et amenait les éclats de sa chaleur directement jusqu'à son cœur. Elle renversa la tête en arrière et prit une grande bouffée d'air pur n'ayant pas le goût de ce qu'elle nommait être une odeur d'hôpital.

Quand elle ouvrit les yeux, le monde lui paraissait étrange. Les couleurs de la salle où elle se trouvait étaient resplendissantes, presque fluorescentes. Le jaune de la peinture sur les murs, le rouge des chaises, le vert de la pelouse a l'extérieur qu'elle pouvait voir par les ouvertures, l'azur d'un ciel tant de fois rêvé. Elle réalisait à quel point avoir un horizon teinté de blanc était un supplice fait au sens de la vue. Si elle était là pour aller mieux, la priver de couleurs était une mauvaise thérapie.

Il y avait un jeune homme assis à une table. Il portait un costume gris, austère, mais pour Camille le gris était devenu une couleur flamboyante. Il faisait penser à un avocat. Elle se demanda s'il était là parce que les gendarmes avaient retrouvé son violeur. Ou alors était-ce parce qu'elle avait commis un délit sans s'en souvenir ? Plus rien ne la surprendrait maintenant. Elle en doutait pourtant, car de toute évidence, elle n'était pas en prison, mais bien dans un asile de fous. Elle mesurait la chance de ne pas avoir été lobotomisée. Est-ce que ça se faisait toujours en 1970 ? Était-elle toujours en 1970 ? Camille n'avait pas vu son visage depuis qu'elle était ici. Il n'y avait aucun miroir dans sa chambre. Elle posa son regard sur ses mains. Rien n'indiquait son âge précisément. Elle reporta son attention sur son visiteur.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant