Tout ce sang.
À genoux sur le carrelage d'une cuisine qu'elle ne connaissait pas, Camille, la main sur son sexe, essayait en vain d'empêcher ses entrailles de se vider. Une flaque rougeoyante s'étendait sur les carreaux blancs crasseux. Malgré le fait qu'il fasse nuit et que les lumières étaient éteintes, elle lui paraissait atrocement flamboyante. Elle semblait mue d'une vie qui lui était propre. Elle se déplaçait, s'agrandissait, ne semblant pas vouloir arrêter sa course hors de son corps.
Tellement de sang.
Elle poussa un cri qui lui fit peur. Elle ne reconnut pas sa voix. Aucun être humain ne pouvait brailler de la sorte. Plus qu'aigus, elle aurait dit strident. Ce cri sonnait comme un déchirement, celui du silence, mais aussi celui de sa santé mentale. Des flots de larmes coulèrent sur ses joues sans qu'elle puisse les retenir. Désespérée, elle hurla un prénom.
- PIERRE.
Une personne approcha dans le noir. Elle n'était pas seule. Quelqu'un venait. Il allait la sauver. Il devait la sauver.
- Pierre, qu'est-ce qu'il m'arrive ? supplia-t-elle.
À la lumière de la lune traversant la fenêtre, elle reconnut l'homme debout devant elle.
- Marco ? Marco, aide-moi ! Je ne sais pas ce qui se passe. Regarde ! Je me vide de mon sang. Aide-moi ! Je ne veux pas mourir.
Sa panique était palpable. Elle emplissait l'air tout autour d'elle, elle aurait pu la toucher. Malgré ça, son ami restait planter sur ses deux pieds sans bouger. Il la toisait de toute sa hauteur comme s'il ne se passait rien d'important. Pourtant il ne pouvait nier ce qu'il voyait. Camille chercha dans son regard un espoir, mais son visage était dans l'ombre et elle ne pouvait pas voir ses yeux.
- Que je t'aide à faire quoi exactement ? dit-il avec dédain.
Camille ne comprenait pas pourquoi il lui parlait comme ça. Marco avait toujours été adorable avec elle. Il était son ami. Elle ne comprenait rien à rien. Des milliers de questions se bousculaient dans sa tête en une fraction de seconde. Où était-elle ? Chez qui était-elle ? Où était Pierre ? Et Michèle ? Étaient-ils partis ensemble, l'abandonnant après qu'elle les ait surpris ? Tout ce qu'elle savait c'était qu'elle avait mal. Sa souffrance était insupportable et elle perdait du sang de son vagin, beaucoup de sang. Son ventre se contractait régulièrement et à chaque fois elle avait l'impression qu'on la poignardait. Un homicide perpétré par son propre corps, répété encore et encore.
Elle se plia en deux, car la douleur devenait insoutenable.
- Marco. S'il te plaît, l'implora-t-elle.
- Débrouille-toi ! Ça ne me concerne pas. Tu n'as qu'à demander à celui qui t'a baisé de venir t'assister. Quand tu auras fini ta fausse couche, pense à nettoyer ! Je vais me recoucher.
Il avait parlé de fausse couche. Comment pouvait-elle être enceinte sans le savoir ? Un être avait-il vraiment commencé à grandir en elle ? Un être qui n'existerait jamais. Était-elle tombée enceinte à la suite du viol ? Était-ce la raison de l'absence de Pierre ? Camille était tout à fait perdue. Elle avait emmagasiné trop d'informations étranges en trop peu de temps pour bien comprendre sa situation.
Marco l'avait abandonnée sur son bout de carrelage aussi froid que son attitude à son égard. Elle se demanda comment il avait pu ignorer son désespoir. Même si elle ne comprenait pas la raison de sa colère contre elle et pourquoi c'était lui qui était là et non Pierre, il aurait dû tout de même lui porter secours. Personne n'était aussi cruel.
Une sentence terrible s'imposa à elle ; elle allait mourir exsangue sans avoir connu le véritable bonheur. Jusqu'au bout, on le lui aura refusé. À un moment, elle avait cru pouvoir le toucher du bout des doigts, mais ça n'avait été qu'un leurre envoyé par un diable sadique. Elle avait perdu sa foi en la famille, sa foi en l'amour et maintenant, même si elle ne se l'expliquait pas, on lui refusait d'être mère en lui infligeant toujours plus de souffrance.
Ses souvenirs étaient troubles. Elle ne savait effectivement pas où elle était, ni même la date. Elle ne savait pas non plus qui pouvait être le père de cet enfant. Par contre, elle savait qu'elle voulait vivre et la seule personne qui pouvait encore la sauver n'en avait pas envie. Elle devait le convaincre.
- MARCO hurla-t-elle. MARCO. Amène-moi à l'hôpital, je t'en supplie. Je vais mourir dans ta cuisine, ce n'est pas ça que tu veux ?
Pas un bruit. Il était apparemment bien décidé à ne pas intervenir. Camille n'en pouvait plus. Marco était odieux avec elle, elle n'avait pas à subir ça dans son état. Elle n'avait pas d'autres choix que de le provoquer pour le faire réagir.
- Hey connard ! Tu m'entends ? Je sais que tu m'entends. Je n'en ai rien à foutre que tu ne sois pas jouasse, tu ne vas pas me laisser crever ici. Alors, tu vas bouger ton gros cul maintenant et m'amener dans un putain d'hosto, fissa.
Camille ne se connaissait pas aussi grossière. La douleur parlait à sa place.
Elle l'entendit se relever et il finit par revenir. Malgré la pénombre, elle sut à sa démarche qu'elle allait regretter son retour. Elle avait déjà vu quelqu'un se déplacer de la sorte. C'était il y avait quelques années, mais elle ne l'oublierait jamais. Son père était venu vers elle de ce même pas décidé juste avant de la frapper dans la chambre de Michèle. L'histoire se répétait.
Elle n'eut pas le temps d'avoir une autre pensée que le noir se fit autour d'elle.
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Au-delà de l'aube
Romance⭐ 1ère place dans la catégorie Divers du concours Wattpad & Vous 2022 organisé par @Gensana. ⭐ 2ème place dans la catégorie Young Adult du concours Watt'Plum 2023 organisé par @Laura-Del. ⭐ 3ème place dans la catégorie Historique du concours Watt'Ch...