Au-delà de l'aube

41 - Un cadeau inattendu

Camille chercha dans son sac le cadeau que Cam lui avait fait. Elle trouva un petit paquet entouré d'un ruban de satin vert lui rappelant son refuge de verdure sur les bords de l'Eyrieux. Elle tira sur le nœud et ouvrit la boîte.

Si une hôtesse de l'air était passée à ce moment-là dans le couloir de l'avion, elle aurait pris peur en voyant le visage de la passagère du 19A blêmir.

Camille sentit son corps céder sous le poids de l'angoisse. Elle essayait de se persuader qu'elle avait mal interprété ce qu'il y avait dans le colis. Qui ? Quand ? Comment ? Ces questions se percutaient indéfiniment dans sa tête. Elle devait trouver des réponses. Elles devaient être quelque part dans la lettre de Cam, aussi reprit-elle sa lecture.

« Ce n'est pas si simple de s'y retrouver dans une aussi grande ville, et pas seulement à cause d'un nombre impressionnant de quartiers et de rues. Les fortes densités changent les règles des relations humaines. J'y étais anonyme, ce qui était agréable, et dans le même temps je me sentais agressée par la foule de gens que je croisais. Une certaine tension régnait constamment, comme si les Parisiens ne savaient pas comment profiter de la vie et rejetaient la faute de cet échec collectif sur les autres. Ça m'a perturbé, au début. Je n'avais vécu qu'en famille, en communauté, à Nantes qui était une ville à échelle humaine et enfermée, recluse de la société. Heureusement pour moi, Mireille habitait la capitale depuis plusieurs années et en connaissait tous les codes. Elle m'a sauvé, sinon je me serais fait digérer par ce monstre géant au relent d'égout.

Les seuls indices que nous avions pour retrouver Pierre étaient son nom et le nom de sa maison d'édition. C'était plutôt mince. Tu n'imagines pas le nombre de personnes s'appelant Pierre Bourgeois à Paris. Ça nous aurait pris trop de temps pour tous les visiter. Nous avions donc décidé de nous rendre chez son éditeur pour lui demander de nous fournir son adresse. Mais pour ça, il nous fallait un plan. Nous n'étions pas naïves au point de croire qu'il la donnerait à deux jeunes femmes aux allures de groupies.

Mireille est très joueuse. Pour ça, on se ressemble elle et moi. On s'est inventé tout un stratagème pour rencontrer l'auteur de La route longue et sinueuse. On avait réfléchi à ce que nous allions dire, mais aussi à nos tenues, le but étant d'avoir l'air très adulte et professionnelle. Nous voulions nous faire passer pour des journalistes de Ouest France voulant réaliser une interview de l'écrivain. Mireille avait même amené un appareil photo pour faire plus vrai. Sans carte de presse, l'illusion n'a duré que quelques secondes et nous nous sommes fait mettre à la porte manu militari par un vigile imposant. Notre préparation, vêtement, maquillage et coiffure, n'avait servi à rien, mais ça n'avait plus d'importance, car ledit écrivain était sur le trottoir d'en face sur le point de traverser pour rejoindre sa maison d'édition.

À cet instant, alors que mon regard croisait le sien, je t'ai senti et quelque chose a changé en moi. J'ai ressenti comme des papillons dans l'estomac. Le désir montait au fur et à mesure qu'il se rapprochait. Une vague de chaleur m'envahissait et je me sentais rougir. Tout ça venait de toi, je le savais. Je vivais en direct tout l'amour que tu ressentais pour cet homme. Il était plus puissant que dans mes souvenirs. Ta passion devenait mienne et j'ai eu envie de lui.

Il était à quelques pas de moi quand mes jambes fléchirent. Je crois que tu as cherché à reprendre le contrôle et ça m'a déséquilibré. Il m'a retenu dans ses bras avant que je ne tombe. Je suis désolé de ne pas t'avoir laissé la place, j'avais une mission : réparer mes erreurs en te proposant une vie meilleure qui correspondrait à tes attentes sans impliquer d'éléments perturbateurs. J'ai considéré que Pierre, un homme marié, en était un. Malgré ça, le contact de sa peau sur la mienne a déclenché une onde de frisson de la base de mon cou à la pointe de mes seins. C'était une douce douleur qui emprisonne le cœur et réchauffe l'âme. Alors qu'il me fixait, je t'ai envié, car tu as connu l'amour. Moi je n'ai eu que les restes. Je voulais que ce moment se fige dans le temps. Je t'ai remercié de m'avoir envoyé cette émotion et j'ai pleuré.