15 - Ce que l'horizon ne montre pas

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Tout allait pour le mieux dans son Nouveau Monde parfait, pourtant Camille avait appris que rien ne durait éternellement. Elle se jugeait réaliste plutôt que pessimiste à penser ainsi. Il allait forcément se passer quelque chose qui briserait le rêve dans lequel elle évoluait. Elle devait s'y préparer, même si rien ne préparait vraiment à l'avenir. Il était incertain, fourbe et n'indiquait jamais quelle direction il allait prendre.

Elle espérait jouir d'une tranquillité méritée. Elle vivait son histoire d'amour entourée d'amis et malgré cela, elle se disait que son bonheur finirait fatalement par disparaître. Une part d'elle savait que le malheur avait perdu sa trace dans les virages ardéchois, mais qu'il n'allait pas tarder à la retrouver pour de nouveau la torturer. Elle essayait de vivre pleinement chaque journée avec cette épée de Damoclès qu'elle s'était imposée. Elle s'autoflagellait d'être heureuse, comme si elle n'avait pas le droit à la sérénité de l'âme.

Qu'est-ce qui clochait chez elle ? Sa vie n'aurait pas pu être plus satisfaisante. Des enfants, avec l'innocence qui les caractérise, auraient dit de sa vie qu'elle était « trop bien ». Ce qui signifiait littéralement qu'elle n'était pas assez nulle. Trop beau pour être vrai. Trop. Elle avait accès à trop de bonheur. Elle avait trop d'amis géniaux. Elle avait trop de chance. « Trop », ça fait peur. « Trop », ça voulait dire qu'il en fallait moins. « Trop », ce n'était pas « très ». Elle aurait préféré être « très bien », même « juste assez » lui aurait suffi. On ne trébuchait pas d'un « juste assez ».

Elle passait ses journées et ses nuits avec Pierre et Michèle. Ils étaient tous les deux adorables avec elle. L'amour qui existait entre eux était sans commune mesure avec tout ce qu'elle avait pu recevoir depuis son enfance. Alors pourquoi imaginait-elle le pire ? Parce qu'elle avait peur de tout perdre était une réponse. Parce que rien ne durait en était une autre. Lorsque le soleil était au zénith, il ne pouvait que redescendre pour se perdre derrière l'horizon. Et après ? Après, c'était la nuit. Une nuit noire où l'espoir de revoir le jour ne tient qu'à la course de l'astre lunaire. Et les nuits sans lune ? Il ne restait qu'à prier pour qu'une nouvelle aube se lève et Camille avait rejeté la notion d'un Dieu capable d'écouter les suppliques de ses moutons. Le berger dirigeait, le troupeau ne faisait que suivre sans droit d'exercer son libre arbitre. À quoi bon prier une idée sourde aux souffrances ?

Camille voyait la lumière décliner un peu plus chaque jour. Le soleil montait moins haut dans le ciel, il était plus proche de l'horizon. L'été venait de se terminer, l'automne était synonyme de changements. Pour elle, il était impossible qu'ils soient de bon augure. Après la pluie venait le beau temps, disait l'adage, mais après, la pluie ne revenait-elle pas ?

Il n'y avait rien de plus précaire que la paix mondiale, sauf peut-être la paix intérieure d'une personne. Le caractère de Camille ou son expérience de la vie faisait qu'elle ne pouvait pas croire à la pérennisation de son bonheur. L'immortalité n'existait pas, surtout pour les états émotionnels. Les évènements qui allaient suivre prouveraient qu'elle avait eu raison de douter.

Une tragédie allait se jouer et Camille en serait l'actrice principale. Elle ne le savait pas encore, mais sa vie en serait bousculée à jamais. Tout ce qui lui arriverait par la suite découlerait de ces évènements et rien ne pouvait les empêcher. Le temps ne s'arrêtait pas pour regarder les ravages qu'il faisait. Il continuait sa course aveugle sans état d'âme, sans penser à ceux à qui il enlevait tout espoir d'atteindre l'ataraxie.

Ce drame allait se dérouler en trois actes.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant