26 - « Promesse de l'aube » par Pierre Bourgeois

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« Des images. Un campement de fortune, la campagne ardéchoise, un champ isolé, l'arrière d'une 4L, tous ces lieux qui nous lient. Mais également l'image de son sourire, réminiscence d'un passé révolu. Mon cœur qui accélère. Ma vue qui devient floue. Mon regard qui se perd à l'horizon, semblant voir à travers la vie elle-même. Un frisson qui me parcourt l'échine, celui du manque. Le manque qui me ronge de l'intérieur, me fait souffrir et dans le même temps que je chéris. Sans lui, j'oublierais que j'ai aimé, que j'ai pleuré, que j'ai vécu. Il fait partie de moi désormais. Ces images font partie des différentes cartes que je pioche dans mon esprit et qui me rappellent à elle. C'est un voyage dans des dimensions que je suis seul à connaitre et à reconnaître. Une cartographie de ce que j'ai vécu et qui serait révélé par une cartomancienne tirant au hasard des extraits dans mes souvenirs pour qu'ils restent imprégnés en moi. Le mystique se joint à la réalité pour apparaître sous une nouvelle forme, celle du rêve éveillé. Bienvenue dans ma tête ! La nuit est tombée. Les lumières se sont éteintes. Que le tirage commence !

La première carte représente une île. Je m'étais perdu en mer et mon navire avait sombré. Je cherchais désespérément une plage pour arrêter de nager et survivre. Je finis par la trouver. Au premier abord, je ne m'étais pas rendu compte que cette terre hospitalière avait été fragilisée par le temps, celui qui érode les roches les plus solides. C'était un monde insensé que j'ai tout de même voulu comprendre, mais qui avait peur de se laisser apprivoiser. Il me tenait à distance de ses secrets enfouis dans la noirceur de ses recoins les plus sombres, ne me laissant qu'apercevoir la beauté de ses rivages. Il ne semblait pas me rejeter, se cachant malgré tout derrière une épaisse forêt qui lui servait de carapace. Ainsi, il stoppait mes ardeurs, ne me donnant que peu d'espoir d'y séjourner longtemps. Ce monde magnifique m'a pourtant laissé y planter une graine. Elle avait donné une fleur resplendissante qui avait illuminé l'île de sa beauté.

L'image se brouille. L'île disparaît. L'espace et le temps ne font qu'un dans cette odyssée à travers les méandres de mon esprit. Il n'y a pas de triche possible dans le jeu des souvenirs, seule l'interprétation varie. Le voyage se poursuit. Le tirage continue.

La carte suivante est double. Dans un angle, il y a un ange, il fait face à son double maléfique, un diable. Ils n'ont pas l'air de s'opposer. J'ai plutôt cette étrange impression qu'ils se complètent. N'échangent-ils pas un regard complice ? Ils sont beaux. Ils se croient si différents. Savent-ils que le Ciel et l'Enfer ne sont pas ennemis ? Ils n'existeraient pas l'un sans l'autre. Peut-être que l'un d'eux cherche à prendre l'ascendant sur l'autre ? Ils ne conçoivent pas encore totalement qu'ils forment un tout. La perfection de la dualité de l'Homme est que chaque forme de sa personnalité doit pouvoir s'exprimer à tour de rôle. Les personnes trop bonnes ne sont pas intéressantes, car trop lisses, ne laissant apparaître aucune des failles qui rendent l'humanité si touchante. Si c'est le mal qui prend le dessus, il vaut mieux les éviter pour un temps sans totalement leur fermer la porte. L'être sensible, ayant la capacité de percevoir le monde pour aboutir à sa compréhension, est celui qui vit et s'exprime dans cette dualité. L'amour et la haine se partagent à parts égales son âme. Quand le premier lui fait peur, il use de la seconde pour se protéger. Quand la deuxième s'est trop imposée, sa chair et son cœur réclament le retour du premier. Je vivais dans l'attente de rencontrer une telle personne. Une personne capable de me montrer ses deux visages et de les assumer. C'était chose faite. J'ai eu cette chance et l'espace d'un instant je me suis senti privilégié. Aussi bref que ce fut, j'en suis encore honoré.

L'image change encore. Quel est le but de ce voyage ? Chacun y verra ce qu'il a envie d'y voir, comprendra ce qu'il a envie de comprendre, retiendra ce qu'il aura envie de retenir. Il n'y a pas de lois propres aux rêves. C'est ce qui les rend si mystérieux.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant