14 - Les jours heureux (sur fond musical)

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Gérard était rustre, mais pas méchant. C'était ce que Michèle avait dit à Camille et ça se confirmait. Le vieux monsieur était plutôt ronchon la plupart du temps, néanmoins il avait bon cœur. Il accueillait déjà sept personnes sur sa propriété quand ils avaient débarqué sans prévenir. C'était un homme veuf qui avait vécu les affres de la guerre. Cela aurait pu le briser, il aurait pu s'enfermer dans une profonde tristesse, mais au lieu de cela il avait décidé d'ouvrir sa maison à qui le voulait. C'était sa maison familiale, celle où il avait grandi. Il était issu d'une famille nombreuse, ses parents avaient eu huit garçons. La plupart d'entre eux étaient morts, ou sur le point de l'être.

Les premières personnes à avoir tapé à sa porte avaient été les deux fils de son voisin le plus proche. Ils cherchaient du travail et lui cherchait de la main-d'œuvre. Ils étaient restés une année à son service à s'occuper de la ferme, puis ces gamins étaient ensuite partis vivre d'autres aventures. Ils lui avaient dit ne plus se satisfaire du monde rural et s'étaient laissés happer par la promesse d'une vie meilleure dans la capitale. Ils étaient revenus changés presque deux ans plus tard. Les cheveux avaient poussé, les idées aussi. Des idées de paix, d'amour, et avec cela le concept de profiter de la vie en pleine nature, inspirée des communautés hippies américaines. Ils s'étaient souvenus de ce vieux monsieur qui avait tellement de place, de terrain, de chambres. Ce vieux monsieur si seul. Ils lui avaient alors proposé de mettre de la vie dans ce village isolé en invitant des groupes à les rejoindre dans cette aventure de partage et d'harmonie. D'abord sceptique, il avait fini par accepter, car il n'y voyait que de la main-d'œuvre bon marché. Sa vision des choses avait changé quand les premières femmes arrivèrent, mettant de la gaité dans sa retraite solitaire. Il y avait de nouveau de la vie et des rires dans sa maison. Les gens allaient et venaient à leur guise, certains restaient quelques jours, d'autres quelques mois. Tous étaient joyeux. Son quotidien en fut bouleversé, pour son plus grand bonheur. Gérard avait toujours été quelqu'un de renfermé et son caractère l'empêchait de le montrer. Il se contentait de bougonner quand quelque chose ne lui plaisait pas, c'était sa manière d'affirmer qu'il était le maître des lieux, mais tout le monde savait qu'il était heureux d'avoir tous ces jeunes chez lui.

Michèle avait vécu au sein d'un autre groupe dans le Lubéron. Son expérience dans cette région s'était mal passée. Elle y avait perdu toute liberté à cause d'un homme. Elle n'avait pas remarqué tout de suite le changement qui s'était opéré, obnubilée par son envie de vivre autrement. Ce n'était plus un groupe pacifiste dont elle avait fait partie, c'était devenu une secte. C'était une dérive dangereuse de ce genre de regroupement. Un gourou prenait le pouvoir insidieusement et faisait de ses camarades ses disciples. La plupart des membres qui l'acceptaient avaient un caractère faible ou se sentaient rejetés par la société. Des personnes qui ne voulaient pas gérer leur propre vie. Des moutons perdus cherchant un berger pour les guider, choisir la voie. La seule voie qui avait été proposée fut celle du plaisir sexuel du leader et Michèle n'était pas un mouton. Elle était partie avant que l'emprise du groupe ne soit trop forte et qu'il lui fut impossible de faire le choix de les quitter. À Lyon, elle avait fait la connaissance d'une personne qui lui avait parlé de l'Ardèche et d'un séjour qu'elle avait fait dans une ferme. Celle qui avait connu la vie londonienne avait choisi de s'y rendre pour se faire un avis et elle y était restée. Michèle avait trouvé l'état d'esprit communautaire qui lui correspondait chez Gérard.

Camille et ses deux compagnons de route avaient été accueillis à bras ouvert.

Selon Paul et François, les fameux fils du voisin à l'origine du projet, cela faisait quelques mois qu'il n'y avait pas eu de nouveaux arrivants. Ils étaient les premiers à jouir de ce lieu, mais rien ne les distinguait des autres. Il n'y avait pas de gourous à la ferme, tous étaient égaux.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant