16 - Acte 1 : Ce qui aurait dû rester caché

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Cela faisait deux mois qu'elle habitait au sein de la communauté. Pierre et elle formaient le couple parfait, c'était indéniable. Quand elle se réveilla en ce début d'octobre, un nouveau poème de son bien-aimé l'attendait sur le petit bureau qu'il avait installé dans le coin de leur chambre. Dans celui-ci, il louait sa beauté et la comparait à quelques déesses grecques dans un texte écrit en vers. Camille savait qu'il espérerait devenir poète, aussi s'exerçait-il à la versification pour exprimer son amour. Cette déclaration n'était pas la meilleure qu'il lui ait écrite. Ça n'avait que peu d'importance aux yeux de Camille. L'intention surpassait parfois le contenu. Elle prenait du plaisir à lire les mots qu'il lui laissait, même si les rimes étaient pauvres. Elle ne lui avait jamais dit pour ne pas l'offenser, mais elle trouvait que sa passion pour elle prenait une tout autre ampleur quand il libérait sa prose. Très peu poète, il n'en était pas moins un bon écrivain. Le sujet étant toujours l'amour qu'il lui portait, elle chérissait chacun de ses textes.

Camille prenait alors la plume à son tour pour lui répondre. Ses messages étaient plus courts que les siens, néanmoins elle s'appliquait à lui décrire ce qu'elle ressentait ; le frisson qui la parcourait quand il était dans la même pièce qu'elle, l'envie de l'enlacer, le besoin de l'embrasser, la nécessité d'être avec lui. Les attentions de Pierre à son égard ne faiblissaient pas. Chaque jour, il était une présence bienveillante. Leur amour était pur, son bonheur sans tâches.

Camille passa une grande partie de sa journée avec Michèle. Elles partageaient leurs tâches quotidiennes dans la ferme, que ce soit le ménage impossible à faire dans le capharnaüm dans lequel ils habitaient et les repas à base de produits issus d'un animal ou arrachés à la terre. Leur vie était simple, la plupart de leur temps elles le passaient à discuter entre elles ou avec les autres filles, bien que ce soit compliqué de converser avec les deux Suédoises. Ces dernières préféraient, dès que le soleil pointait son nez, bronzer dans le plus simple appareil sur la terrasse de la maison, et ce même si les températures ne s'y prêtaient pas. Fin août, elles avaient voulu recréer un sauna dans la buanderie, mais Gérard avait mis son véto de peur qu'elles mettent le feu à son habitation.

Leur compagnon scandinave, Joran, était un homme fort et aimait travailler au champ. Camille s'était toujours demandé qui couchait avec qui dans leur trio. Ils étaient assez discrets sur la question. C'était le sujet du jour des deux amies. Michèle pensait que le bel étalon devait être avec Rebecka et qu'ils aimaient que Freya les regarde faire l'amour. Camille, moins délurée que sa copine, n'avait pas ce genre de pensées, car pour elle un couple était l'affaire de deux personnes. Il devait être exclusivement avec l'une d'elles, voir avec aucune. Michèle fut étonnée de sa réflexion, mais Camille n'eut pas le temps d'approfondir la question qu'Annie leur demanda de l'aide pour aller faire des courses au village. La jeune pudibonde se proposa, alors que son espiègle amie choisit de rester pour bouquiner. La vie était si tranquille.

Après le ravitaillement, Camille passa le reste de l'après-midi à flâner dans les rues du village, puis dans son refuge près de la rivière. L'été indien s'était installé. Il faisait bon, elle put s'allonger dans l'herbe. À un moment, elle entendit du bruit dans les fourrés qui l'entouraient. Elle se releva, inquiète. À cette heure de la journée, les enfants étaient à l'école, ce ne pouvait pas être eux. Les battements de son cœur s'accélérèrent, elle se sentait épiée. Elle décida de retourner vers le semblant de civilisation qu'était la bourgade de Beauvène plutôt que de rester seule dans cet endroit isolé. À chacun des pas qu'elle faisait, un mauvais pressentiment l'envahissait, pourtant il n'y avait personne d'autre qu'elle sur la route. Elle ne se sentit en sécurité qu'une fois arrivée dans la cour de la maison de Gérard. Le soleil se couchait et elle se félicita d'être rentrée avant la tombée de la nuit.

Marco était dans l'allée menant à leur bâtiment. Il donnait l'impression d'être stressé.

- Marco ? Tout va bien ? demanda Camille.

- Camille, c'est toi ?

Elle trouva sa question étrange. Malgré le soleil couchant, il faisait bien assez jour pour qu'il la reconnaisse.

- Bien sûr que c'est moi. Qui veux-tu que ce soit avec ses courbes à faire pâlir d'envie Brigitte Bardot ? plaisanta-t-elle en prenant la pose.

- Il faut que tu viennes avec moi.

Il y avait de la gravité dans sa voix, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Il lui fit signe de le suivre et l'entraina à l'arrière de la demeure, près des fenêtres de la chambre qu'elle partageait avec Pierre.

- Il s'est passé quelque chose de grave ? s'empressa-t-elle de demander.

- Camille, nous sommes amis ?

Elle le trouvait vraiment étrange et inquiétant.

- Oui Marco. Mais qu'est-ce que tu as ? Explique-toi ! Tu as des problèmes ?

- En tant qu'ami, il faut que je te le dise ou plutôt que je te le montre. Mais je veux que tu saches que je serai toujours là pour toi et que si je fais ça, c'est uniquement parce que tu mérites de savoir ce qui se trame derrière ton dos.

Camille ne comprenait pas où il voulait en venir. Quand il la tourna vers la lumière venant de l'intérieur de la maison, elle comprit.

Son cœur s'arrêta, car sa passion venait d'être foudroyée. L'homme qui lui écrivait tant de déclarations d'amour. L'homme à qui elle s'était offerte en toute confiance. L'homme qui avait fait de son âme un champ de roses magnifiques aux pétales éternels. Cet homme avait la tête entre les jambes d'une autre femme. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait voir que le visage de Pierre écrasé contre la vulve d'une trainée sans scrupule. La tête du lit étant le long du mur, sous la fenêtre, elle ne voyait pas à qui appartenait le trou dans lequel il fourrait sa langue, probablement celui d'une fille du village, se dit-elle, une inconnue. La pénombre ne permettait pas à ce salopard de la voir, mais si tel avait été le cas, il aurait vu l'incommensurable haine qu'elle ressentait. Elle pouvait entendre les cris de plaisir de sa partenaire, ils raisonnaient en elle comme le glas. Elle assistait à l'enterrement des jours heureux, avec Little girl blue de Janis Joplin en fond sonore comme oraison funèbre.

Elle détourna le regard, le visage déformé par la colère, ne pouvant en voir plus. Elle allait s'éloigner pour déverser sa tristesse loin de cette traitrise quand elle entendit une voix de femme prononcer le prénom de son amant dans un gémissement. Dans un premier temps, elle ne put y croire. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Elle reconnaissait cette voix. C'était celle de l'amitié, de la complicité, de la confidence. Celle que Pierre était en train de baiser dans leur propre lit était Michèle.

Folle de rage, elle frappa violemment la vitre de leur chambre, y laissant la marque de son poing. Les deux félons se tournèrent vers l'ouverture et Camille vit la surprise sur leurs visages à travers le verre fendu. Les larmes coulèrent. La trahison lui était insupportable à vivre. Elle partit en courant pour échapper à l'humiliation qu'ils lui faisaient subir.

- Camille, attends, essaya de la retenir Marco. Où vas-tu ?

Sans un mot, Camille disparut dans la nuit.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant