29 - Le passé selon Pierre

33 11 8
                                    

Dans l'histoire que contait Pierre à Camille, il n'y avait pas de drame mis à part la disparition de celle qu'il avait aimée plus que tout.

Le jour de leur rencontre, il avait été ébloui par l'assurance dont elle avait fait preuve en se déshabillant devant eux. C'était ses mots. Là où Camille avait été morte de peur, il y avait vu de la détermination à épouser une autre forme de vie. Il s'était alors levé pour se trouver face à elle. Il ne s'expliquait pas pourquoi elle avait cru qu'il l'avait fait pour la jauger. Elle n'avait pas vu le tremblement de ses mains, son manque de confiance. Il avait été intimidé par sa force de conviction. Tout d'abord surpris, puis honteux de regarder cette jeune fille s'effeuiller, il avait combattu sa nature timide pour aller vers elle. Comme hypnotisé, il n'avait pas pu détacher son regard du sien. Il l'avait trouvée si belle. À cet instant, pendant leur face-à-face, il avait su qu'il était en train de tomber amoureux.

Un évènement, deux points de vue différents.

Ensuite, Pierre avouait la maladresse dont il avait fait preuve dans la soirée. Cette fois c'était Camille qui avait vu de l'assurance. Elle avait dansé autour du feu pour laisser derrière elle la petite fille qu'elle avait été et qu'elle ne voulait plus être. Il l'avait enlacé avec fermeté. Pierre expliquait son geste en lui disant qu'il avait bravé sa personnalité réservée. Il n'était qu'un poète pas sûr de lui qui avait trouvé en Camille la muse qui lui manquait. En l'embrassant, il s'était demandé s'il n'était pas allé trop loin. Le doute faisait partie intégrante de son être. Quand elle avait tenté de le repousser, il avait resserré son étreinte parce qu'il avait peur qu'elle lui échappe et qu'elle le gifle. Sa conduite était passée pour de la hardiesse.

Quand la musique avait cessé quand Marco avait arrêté de jouer et qu'il était parti, il s'était alors rendu compte que son geste n'était pas approprié. Seul avec Camille, il avait commencé par s'excuser. Il avait été profondément honteux. Le poète avait parlé, mais le petit garçon en lui avait été effrayé qu'elle puisse lui en vouloir. Il avait eu l'audace de lui demander de dormir avec elle. Sans vraiment y réfléchir, les mots étaient sortis. Tout ce qu'il savait à l'époque, c'était qu'il voulait être à ses côtés. Il la respectait tellement qu'il n'avait rien tenté. Ça ne lui était même pas venu à l'esprit. Il lui avait suffi de sentir son corps près du sien pour être comblé.

Le jour suivant, quand ils étaient tous allés à l'étang de Berre, il avait été jaloux du baiser qu'elle avait déposé sur la joue de Marco dans la voiture. Son corps avait agi d'instinct quand il avait refermé sa main sur le poignet de Camille pour la tirer sur la banquette arrière. Il s'en était voulu et avait espéré que ça n'aurait aucune incidence. Ses sentiments pour elle étaient déjà profonds. Pour lui, cette journée avait été la plus pure de leur histoire, selon ses termes. Ils l'avaient fini enlacés l'un contre l'autre sans qu'il y ait de pression. Ils étaient devenus complices. Il avait tenté sa chance, elle lui avait fait comprendre que c'était encore trop tôt. Il l'avait accepté et l'avait admiré de ne pas céder à des pulsions trop animales. Le sexe n'avait jamais été une fin en soi pour Pierre. Il avait toujours voulu que l'osmose soit parfaite ente eux pour y succomber.

Le premier jour du festival, il s'était « déchiré la tête » comme il disait. Il le regrettait, car il n'avait pas pu profiter de son amour. Le lendemain, il l'avait trouvée magnifique dans sa robe. Il n'avait rien perçu du trouble de Camille. Ce soir-là, ils avaient fusionné leur corps, mais aussi leurs âmes. Il y avait eu de la beauté dans leur union. Ce n'avait pas été qu'un simple rapport sexuel, ils avaient atteint l'harmonie des sens. C'était aussi ce qu'elle avait ressenti.

Sa décision de la soustraire à ses parents n'avait pas fait débat le troisième jour. Prendre la route pour l'Ardèche avait été l'unique solution pour ne pas la perdre. Il n'aurait pas supporté de la voir enfermer dans sa maison familiale. Elle lui avait suffisamment prouvé qu'elle était éprise de liberté.

Camille trouvait étrange la manière dont il la voyait. Il l'avait pensée confiante et prêt à tout vivre pleinement, alors qu'elle avait vécu cette période constamment dans l'incertitude. C'était pour cette raison qu'il n'avait pas été choqué par ses demandes lorsqu'ils vivaient chez Gérard.

À partir de là, Camille découvrait avec effroi ce qu'elle avait fait. Des pans entiers de leur relation lui étaient inconnus.

Une vie, deux histoires.

Elle avait retrouvé Michèle et tout avait changé. L'amour de Pierre pour Camille était si intense qu'il était prêt à tout accepter de sa belle. Un soir, alors qu'ils avaient bu, elle lui avait dit vouloir que Michèle les rejoigne dans leur intimité. Tout d'abord, il n'avait pas compris pourquoi elle lui avait formulé cette demande. Elle lui avait dit aimer Michèle et il avait été blessé par cette confession. Sa première réflexion avait été qu'il ne lui suffisait pas.

Camille était perplexe concernant cette partie de l'histoire. C'était exactement ce qu'elle venait de lui dire dans ce café aixois où il lui racontait sa vision de leur passé commun, sauf que d'après lui c'était elle la fautive. Elle ne fit pas de commentaires. Elle voulait savoir où la mènerait cette conversation.

Pierre continuait son monologue en lui disant qu'elle lui avait alors expliqué que ça ne changerait rien à ce qu'elle pouvait ressentir pour lui, qu'elle l'aimait plus que tout. Elle en avait juste besoin.

De couple, ils étaient devenus un ménage à trois, mais avec des règles bien précises. Pierre ne devait jamais parler de Michèle dans les billets doux qu'il écrivait à Camille. Son amour littéraire devait lui être exclusif. Michèle et lui avaient le droit de faire l'amour sans elle, mais jamais quand Camille était dans l'enceinte de la ferme. Et surtout, ça ne devait jamais être un sujet de conversation entre eux. De même, Cam pouvait vouloir passer la nuit avec son amie et elle était aussi la seule à pouvoir décider des soirs où Michèle partageait leur couche.

Comme ils l'aimaient tous les deux, ils avaient accepté ses conditions. Ils avaient trouvé cette situation étrange au début, mais avaient vite compris les avantages de cette relation particulière. Ils avaient fini par repérer les soirs où Camille était différente. Les soirs où elle allait leur demander d'agrémenter leurs ébats.

Michèle aimait les femmes autant que les hommes. Elle avait eu des expériences diverses au cours de sa vie en communauté. Elle aimait le sexe et surtout elle aimait Camille. Elle avait avoué à Pierre avoir voulu ce baiser échangé dans sa chambre. Leur nouvelle partenaire de jeu lui avait aussi dit que son attirance pour la fille de ses voisins datait de l'époque où elle lui faisait découvrir la musique. Quand elle avait accepté la proposition du jeune couple, Cam avait évoqué le besoin d'avoir aussi des échanges privilégiés avec son amie. Elle avait semblé particulièrement y tenir. Michèle avait adhéré à cette envie qu'elle partageait également. Pierre n'y avait vu aucun inconvénient, ne se sentant pas menacé par une rivale de sexe féminin. Il avait trouvé cela même plutôt excitant.

Il avait aimé être l'homme de deux femmes. Quel homme n'aurait pas aimé cela en 1970 ? C'était la base des valeurs libertaires de ces années de débauche. Michèle et lui avaient eu des expériences charnelles bestiales sans sentiments. Quand ils leur étaient arrivés d'être tous les trois, ce qui avait été plutôt rare finalement, il avait eu du mal à trouver sa place. Avec Camille, il avait vécu un amour si profond qu'il allait être marqué à jamais.

Ils avaient consenti à ses extravagances pour son bonheur. Ils avaient vu ça comme un jeu sexuel sans conséquences. Et c'était ce que ça avait été jusqu'à ce soir d'octobre où Camille avait frappé de colère le carreau de leur chambre. Ils s'étaient rhabillés en hâte, mais leur amour avait déjà pris le large. Marco s'était alors proposé de l'attendre à la ferme et ils étaient partis à sa recherche. Ils ne l'avaient plus jamais revue.

Telle était sa version du passé.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant