9 - Le conseil d'un pair

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- Putain ! Qu'est-ce que tu fais là toi ? Tu me regardais en train de pisser ? Mais, attends, tu es la catho de l'autre jour ?

- Je...je peux te parler ?

Camille avait pris congé de son clan en début d'après-midi. Ses pas l'avaient mené au groupe de lionnes enragées qu'elle avait croisé juste avant de tomber sur sa propre meute. Elle avait fait le choix de se confronter à Mireille, celle qui avait été la plus virulente à son égard. Des questions lui brûlaient les lèvres et elle ne pouvait que se confier à une autre femme, même si celle-ci l'avait chassé manu militari la dernière fois qu'elle l'avait croisé. Elle avait donc attendu qu'elle soit seule pour l'aborder, espérant pouvoir plus facilement entrer en contact, mais de toute évidence le moment avait été mal choisi.

Mireille devait avoir environ vingt-cinq ans, mais elle aurait pu tout aussi bien être plus âgée. Ses cheveux bruns étaient coiffés à la mode d'une autre époque, celle de ses parents. Elle avait des formes rondes et ses seins étaient lourds contrairement à ceux de Camille. Son corps était celui d'une vraie femme, un peu comme celui des pin-up américaines durant la guerre, et non celui d'une jeune fille à peine sortie de l'adolescence. Elle aurait pu être jolie sans ce léger strabisme dans son regard qui lui donnait un air bête.

La partisane de la « cathophobie » n'avait rien répondu à la demande qu'avait faite Camille, mais restait planter les bras croisés à la regarder et à mâcher un chewing-gum. Si elle ne partait pas, c'était qu'il y avait un espoir qu'elle veuille bien répondre aux questions que la « grenouille de bénitier » qu'elle était à ses yeux se posait.

- C'est gênant. Je ne sais pas comment, commença-t-elle.

- Tu me dis ce que tu as à me dire ou tu te casses, la coupa Mireille. T'es une perverse ou un truc comme ça ? Parce que je t'arrête tout de suite, je ne...

- Je n'y connais rien aux hommes, dit Camille spontanément.

Le silence entre les deux jeunes femmes s'installa quelques secondes, le temps de laisser passer un ange, avant que le rire de Mireille ne vienne supplanter le chant des cigales.

- Toi, tu viens de te faire déchirer l'hymen.

- Je...merde ! Comment peux-tu savoir ?

Mireille écarquilla les yeux et sa mâchoire inférieure tomba. La voir ainsi, la bouche grande ouverte, rappela à Camille une gravure de poisson lune qu'elle avait vu dans un vieux manuel sur les espèces aquatiques. Elle se retint de rire.

- C'est pas vrai ! J'ai deviné juste. Tu as une tache de sang sur ton pantalon. J'aurais pu me dire que tu devais avoir tes règles et que tu venais me taxer une serviette, mais tu m'as mis la puce à l'oreille. J'ai joué le bluff et t'es tombé dans le panneau. Alors, comme ça tu t'es fait sauter la Catho ?

Malgré l'offense, le ton qu'elle avait pris était plutôt amical. Sa façon de parler était directe, elle ne mettait pas les formes et s'en moquait probablement. Mireille n'était certainement pas de la même classe sociale que la fille de notaire qui se présentait à elle. Et c'était pour cela que Camille était persuadée que cette fille acerbe avait une expérience de la vie qu'elle n'avait pas et qu'elle pourrait l'aider à comprendre. Les préjugés avaient la vie dure.

- Tu m'as l'air bien naïve pour avoir pris les devants. J'suis d'avis qu'un gars t'a mis son machin dans ta jolie petite fleur innocente sans que tu saches bien ce qui s'est passé.

Camille ne voulait pas raconter toute son histoire à cette pimbêche. Et d'ailleurs, qu'aurait-elle pu lui dire au sujet de ce qui s'était passé cette nuit ? Elle ne se souvenait de rien. Pierre avait-il été doux ? Avait-elle été active ou passive ? Aucun flash ne venait éveiller sa conscience, seul le néant subsistait. Un néant froid où personne n'aimerait se réfugier. Elle tremblota comme si la mort venait de la frôler.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant