𝐁𝐈𝐄𝐍𝐕𝐄𝐍𝐔𝐄𝐒 𝐀 𝐅𝐎𝐑𝐊𝐒
Les yeux rivés sur le hublot, je regardais un épais nuage blanc. L'avion avait décollé depuis tellement longtemps que je n'arrivais même plus à savoir le nombre d'heures qui s'étaient écoulées depuis que ma mère et moi survolions l'océan. Quitter Ajaccio me rendais nostalgique — Cette ville était, selon moi, un paradis à elle seule ! — mais il le fallait. Pour ma sécurité et celle de ma mère. Nous avions déjà trop souffert pour rester dans cette ville un jour de plus. Mon père, un dentiste sans la moindre prétention, avait eu de trop nombreux excès de violence sur nous, verbales comme physiques. Alors, nous sommes parties un jour où il n'était pas à la maison. « Betty, prends tes affaires, nous partons » m'avait dit ma mère, une fleuriste dont les compositions florales se vendaient comme des petits pains lorsque nous vivions encore à Ajaccio, alors que je dessinais silencieusement dans ma chambre. Cette phrase allait me hanter toute ma vie, ça ne faisait aucun doute. Nous sommes ensuite parties par avion en direction de la capitale française, où nous sommes restées deux jours à jouer les parfaites touristes: j'avais vu la Tour Eiffel pour la première fois ! Puis finalement, nous sommes définitivement parties du territoire, pour nous rendre en Amérique, et fuir à jamais notre ancienne vie.
Pour me rassurer de ce départ à l'improviste, ma meilleure amie, Camille, m'avait avoué lors de notre dernier appel qu'elle m'enviait : « Tu vas vivre le rêve américain ! » m'avait-elle dit. Le rêve américain, tu parles ! Je quittais la chaleur insoutenable de la Corse pour une bourgade perdue au fin fond de l'Amérique où la pluie et le ciel perpétuellement gris régnaient. Cette ville nommée Forks se situait dans la péninsule Olympic, au nord-ouest de l'État de Washington et honnêtement, je ne voulais pas y aller.
J'aurais préféré rester à Ajaccio, avec ma famille encore soudée. Mais ce n'était plus le cas. J'en étais arrivée à un stade où j'enviais les photos de famille des autres et où je me demandais ce qui se serait passé si on était restés unis.
Moi qui adorais le soleil, j'allais en être privée par la faute d'une brute sans limite. Souhaitant me consoler, ma mère m'avait dit que les touristes étaient beaucoup moins nombreux à Forks. Cet argument avait augmenté d'un tout petit demi-pourcent mon envie de quitter ma ville natale: les touristes y étaient présents en masse et en permanence, et ça m'étouffait.
Étouffer. C'était le bon mot. Je m'étouffais en permanence. Il suffisait que je marche un peu trop vite ou que je monte des escaliers pour que je n'arrive plus à reprendre mon souffle. C'était insupportable. J'avais la fâcheuse impression que personne ne pouvait comprendre ce que c'était. Je ne comptais plus le nombre de critiques que j'avais reçu à cause de ça, à cause de l'asthme:
« Tu siffles, on dirait un train à vapeur. »
« Oh, allez, ça doit pas être si dur que ça. Tu n'as qu'à respirer. »
« Franchement, t'abuses. Y'a des gens qui ont pire que toi. »
Personne ne savait le mal que ça me faisait. Je gardais tout pour moi, laissant les autres parler. Mais certains reproches étaient plus difficiles à encaisser que d'autres. L'énorme nuage prit fin, laissant place à un ciel bleu, qui commençait tout juste à s'assombrir. J'en conclus que la nuit devait certainement approcher.
— On arrive dans combien de temps ? fis-je à l'attention de ma mère.
— Un peu moins d'une heure, me répondit-elle après avoir regardé sa montre. Tiens, me dit-elle en me tendant mon inhalateur. Trois...
— Trois bouffées, la coupai-je, je sais.
Après avoir débouchonné mon inhalateur, je le portai à ma bouche, pressai le bouton et inspirai profondément. Je répétai cette action deux fois encore avant de le ranger dans la poche droite et étroite de mon gilet noir, puis ma mère me tendit un deuxième inhalateur, plus gros que le précédent. Celui-ci, c'était mon traitement de fond. Je le déclipsai et inspirai la dose contenue. Puis je le reclipsai et contemplai les chiffres noirs qui se trouvaient dessus, indiquant la quantité restante. 08.
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Respire • Twilight
Fanfiction𝐑𝐞𝐬𝐩𝐢𝐫𝐞 | ❝ Ma vie est un genre de grand bordel incommensurablement compliqué. ❞ Du haut de ses 16 ans, Betty, adolescente asthmatique à haut potentiel intellectuel, emménage avec sa mère à Forks pour fuir la Corse où vit son père, violent. P...