L'infiltrée

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CHAPITRE I

Jessy



Je replace le col de ma chemise froissée en me regardant dans le miroir de l'ascenseur doré. Le tissu colle à ma peau et je serais certainement moins en nage si je n'avais pas couru sur plus de deux kilomètres avant de venir travailler. J'entends les portes de la cage s'ouvrir derrière moi et je vois son visage apparaître dans mon dos. Je prends sur moi pour ne pas soupirer en jetant discrètement un œil à ma montre et je me retourne pour lui offrir mon plus beau sourire.

— Tu es en retard, Jessy. Encore.

— Je suis désolée, Monsieur. Jack a fait des siennes, ce matin, lui dis-je en pointant du doigt le chien que je tiens en laisse.

Il ne prend pas la peine de me répondre et pose son regard dédaigneux sur la bête, qui semble lui adresser un sourire amical. Il traverse le long couloir, silencieux comme à son habitude, et je le suis jusqu'à ce qu'il s'enferme dans son bureau. Je soupire. Je ne sais pas pour quelle raison une bouffée de chaleur me vient tout à coup, mais elle s'évapore lorsque je le vois disparaître. Je continue mon chemin jusqu'à mon bureau. Je contemple la dizaine d'écrans suspendus au mur comme si je ne les avais jamais vus. C'est tous les jours un immense plaisir de me retrouver dans cette pièce, même si la chaleur dégagée par les nombreux serveurs rend l'air presque irrespirable. Je me laisse tomer dans mon fauteuil en cuir, sans porter attention à Jack qui s'est déjà rué sur sa gamelle d'eau.

— Petite nuit ?

Je redresse la tête, réalisant que j'en avais presque oublié la présence de mon collègue.

— Jack a décidé de courser un chat, ce matin, lui dis-je, exaspérée. J'ai du lui courir après sur Imperial Avenue.

— Un réveil sportif, me répond-il en pinçant les lèvres.

— Mais, je t'en prie, Matt, moque-toi ouvertement.

Je vois à son air qu'il se retient quelques secondes, mais il finit par libérer un rire moqueur. Heureusement pour lui, il ne commente pas davantage. Je ne suis vraiment pas d'humeur à plaisanter, ce matin. J'aurai plutôt besoin de fracasser quelques figures. Cela tombe bien, mon travail m'offre l'opportunité de me défouler à l'occasion. Ignorant le visage de clown de Matt, je me tourne vers mon écran et pianote sur quelques touches de mon clavier. Je sens que son regard est fixé sur moi, il est toujours impressionné par la dextérité dont je fais preuve quand je cherche quelque chose. Les images défilent sous mes yeux et je croise les bras autour de ma poitrine, concentrée.

— Tu n'as pas réussi à trouver ce salopard ?

— Pas encore, mais il ne s'en tirera pas comme ça, lui dis-je sans détourner les yeux de mon écran.

Je passe en revue les images de vidéo surveillance durant de longues heures sans parvenir à identifier l'homme que je recherche. J'en profite pour grignoter quelques cacahuètes, et en offre une à Jack de temps en temps. Matt est assis à mes côtés, deux paires d'yeux valent mieux qu'une. L'individu que l'on veut attraper sévit depuis trop longtemps pour qu'on le laisse aller et venir dans notre casino sans intervenir. D'accord, ce n'est peut-être pas mon casino, mais j'y travaille depuis assez longtemps pour le considérer comme tel.

D'un bond, je me lève et me penche en avant en prenant appui sur les rebords de mon bureau. Jack doit avoir été surpris par mon geste puisqu'il aboie comme si je venais de lui lancer un os.

— C'est lui, putain ! hurlé-je.

— Tu en es certaine ? demande Matt en se penchant à son tour.

— Absolument !Il est à la table de black jack ! Appelle Jensen !

— Mais, attends !

Pas le temps d'attendre qu'il prenne une quelconque décision, j'ai déjà bondi hors du bureau. Je parcours à grandes enjambées les couloirs bondés du casino, me faufilant parmi les clients en donnant de petites impulsions à chacun de mes pas. Je contorsionne mon corps telle une gymnase aguerrie. Courir tous les jours m'apporte toute la souplesse dont j'ai besoin pour traverser ses coursives sans percuter qui que ce soit. Mes cheveux virevoltent au rythme de ma course effrénée et une mèche se glisse devant mes yeux, mais je n'ai pas le temps de la replacer, je vois déjà l'homme assis à sa table de jeu. Je ralentis en entrant dans la grande salle de jeux. Il faut quelques secondes à mes yeux pour s'habituer aux stroboscopes et à mes oreilles pour s'habituer au bruit incessant des machines à sous.

Je m'approche du tricheur prudemment, d'un pas léger. J'attrape une coupe de champagne au passage et en bois une gorgée pour me fondre dans la masse. Je grimace, dès le matin, ça ne fait pas vraiment de bien à l'estomac. Accoudée à une vieille machine à rouleaux mécaniques, je scrute le moindre de ses gestes. Repérer ce genre de pratique n'est pas chose aisée, alors je veux m'assurer qu'il compte réellement les cartes avant d'intervenir. Ce n'est pas vraiment illégal, mais monsieur Jensen applique une tolérance zéro en ce qui concerne tout ce qui serait susceptible de lui faire perdre de l'argent.

Son chapeau lui donne un air de cow-boy et l'énorme chevalière qu'il porte à la main droite est en or massif. Il tapote nerveusement son verre de whisky, concentré sur les cartes que le croupier distribue. Je penche la tête machinalement et réalise que ses lèvres tremblent légèrement. J'ai compris. Il est en train d'énumérer les cartes avant même qu'elles soient sur la table. Je repose la coupe de champagne sur le plateau d'une serveuse qui me frôle et lui adresse un sourire charmeur avant de retrousser mes manches et de me faufiler derrière lui. Je pose une main sur son épaule et je sens que ses muscles se crispent sous mon contact. Je chuchote :

— Veuillez me suivre.

Je comprends que je ne me suis pas fourvoyée lorsque je vois une goutte de sueur perler le long de sa tempe. J'espère qu'il résistera, de telle sorte que je puisse me défouler sur lui, mais à mon grand regret, il me suit sans contrainte jusqu'à un petit local. Je le pousse légèrement pour l'y faire entrer. La pièce est revêtue d'une tapisserie sombre et l'absence de fenêtre renforce l'ambiance sinistre qui se dégage. Je croise les bras en lui faisant face et reste immobile. Je sais que les yeux que je pose sur lui sont aussi noirs que la chemise que je porte. Je le vois pâlir à mesure que les minutes passent et je souris en coin. J'ignore si c'est moi qui lui fait cet effet, mais c'est toujours plaisant devoir un homme se décomposer en sa présence. Il fixe mes mains tatouées et j'en profite pour faire craquer mes phalanges.

Lorsque la porte s'ouvre, il pousse un soupire, mais son corps se raidit tout aussi vite lorsqu'il reconnaît l'homme qui vient d'entrer. Il se prosterne à ses pieds en suppliant :

— MonsieurJensen, je peux tout vous expliquer, ce n'est pas ce que vous croyez !

L'hommeau costume taillé sur mesures s'avance vers lui et plaque sa main sur sa joue. Il lui dit :

— Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous semblez me connaître. Vous devez donc savoir ce que je n'ai aucune tolérance envers les tricheurs.

— MonsieurJensen, je vous en supplie !


Sa voix tremble tout autant que le reste de son corps et c'est presque agréable de le voir sautiller comme un poisson privé d'eau. Mon patron lui dérobe son chapeau et le pose sur sa propre tête en se retournant. Il se contente de m'adresser un signe de la tête et disparaît. Il n'a pas besoin de m'ordonner quoi que ce soit, je sais ce que j'ai à faire, je le fais depuis toujours. Je sors le pistolet attaché à ma ceinture et lui tire une balle dans la poitrine en le regardant se vider de son sang.  

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant