Chapitre 4

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CHAPITRE IV

Clara



Cela fait maintenant plusieurs heures que nous arpentons les rues de San Diego avec Steven et je dois admettre que c'est un peu décevant de n'avoir aucune information à nous mettre sous la dent. La chaleur est étouffante, alors je lui propose de nous asseoir à la terrasse du Grab & Go. Steven entre dans la sandwicherie et me laisse seule avec mes pensées en désordre. Il est vrai qu'il a été de bons conseils, cet après-midi, mais je commence à désespérer de pouvoir montrer de quoi je suis capable. Je retire mes lunettes de soleil et les pose sur mes longs cheveux blonds pour me frotter le visage.

— Ne fais pas cette tête, on passe un bon moment, non ?

Je sursaute presque lorsque je vois Steven poser deux verres d'eau devant nous. Ses dents blanches dévoilées par son sourire sincère m'éblouissent presque autant que les rayons du soleil qui se reflètent sur la table en métal. Je remets mes lunettes sur mon nez, espérant de tout mon être que Steven pense que la chaleur qui se propage à mes joues roses soit due à la température extérieure. Je bois mon verre d'eau d'une traite puis photographie quelques promeneurs. Il faut que je détourne le plus possible mon regard de Steven si je veux rester concentrée. Une touriste, à la tenue vestimentaire douteuse, passe devant nous et je ne peux m'empêcher de la critiquer. Mon collègue lâche un rire mélodieux et je le regarde, un peu bêtement. L'attraction que je ressens pour lui est inexplicable et je suis incapable de détourner mes yeux des siens. Il passe sa main dans ses cheveux pour replacer sa mèche sur le côté et je résiste de tout mon être à l'envie de me ruer vers lui pour l'embrasser. Un son aigu m'interrompt dans mon fantasme et je l'aurai presque remercié s'il n'était pas si désagréable à l'oreille. Je capte la détresse dans le regard de Steven et pose mon appareil photo sur la table tandis qu'il tapote nerveusement sur un petit boîtier noir.

— Qu'est-ce que c'est ? lui demandé-je.

— Rien, c'est un bipeur.

Je suis peut-être jeune diplômée en journalisme, mais je ne suis pas née d'hier. On ne se connaît que depuis quelques mois, mais je sais reconnaître les signes d'un menteur. J'insiste :

— Si c'était un bipeur, tu ne serais pas en train de le cacher.

— Laisse tomber, Clara.

Au ton de sa voix, j'ai l'impression qu'il me supplie, mais je ne suis pas du genre à laisser tomber lorsque je suis intriguée. D'un bond, je me lève de ma chaise et lui dérobe l'objet des mains. Il me regarde sans bouger. Évidemment, je suis bien trop rapide pour lui.

— Dis-moi ce que c'est, Steven.

J'ai beau avoir cet objet entre les mains, je ne sais absolument pas de quoi il s'agit. Il me regarde, l'air presque désespéré, et je sais qu'il va avouer. Si je n'arrive pas à percer dans le monde du journalisme, je pourrais toujours me reconvertir en flic. Il glisse ses mains dans sa poche et prend la posture d'un enfant réprimandé.

— C'est une radio de flics, avoue-t-il, c'est grâce à ça que je publie des papiers avant tout le monde, c'est parce que je suis toujours sur place le premier.

Je dois admettre que je suis épatée. Je ne le voyais pas utiliser de tels subterfuges, mais si ça peut me servir, je ne vais pas faire la fine bouche sur ses principes de moralité.

— C'est quoi un code 10-80 ?

— Un braquage de banque, me répond-il.

Je lis à voix haute ce qui est inscrit sur le petit appareil :

— À l'angle de Kettner Boulevard et West Broadway.

— Quoi ?

Il vient de hurler si fort que j'ai un acouphène. Il se lève d'un bond et ajoute :

— C'est la banque d'en face ! Faut qu'on s'en aille d'ici tout de suite !

— Ah, parfait !

Je ne lui laisse pas le temps de réfléchir et j'attrape mon appareil photo. Je me rue vers le trottoir et traverse la route, bondissant avec aisance entre les voitures qui circulent à vive allure. Les années passées à prendre des cours de gymnastique vont peut-être me servir, finalement. Je suis d'un coup happée par les bras musclés de Steven qui me plaquent contre son corps solide. Bordel, qu'il sent bon.

— Arrête tes conneries, Clara ! Il est hors de question que tu y ailles !C'est trop dangereux !

— Reste ici, si tu veux !

Je me libère de son emprise et continue ma traversée, galvanisée par l'adrénaline qui se propage dans mon corps. J'ai l'impression de voler tant mes jambes courent toutes seules. Le danger me fait bien moins peur que d'être cantonnée à un boulot minable pour le restant de mes jours. Il me faut absolument cette exclusivité.

Je mitraille la banque de photos et réalise que je suis entourée de dizaines d'hommes en uniforme, plus armés les uns que les autres. Personne ne semble décidé à entrer dans le bâtiment alors je me rapproche de la seule fenêtre dont la vue n'est pas obstruée par un rideau. Des policiers m'ordonnent de m'éloigner, mais je n'ai que faire de leurs ordres. J'ai besoin de ces photos. Je croise le regard tétanisé d'un homme à genoux, les mains en l'air, et en capture l'image. Ses yeux sont d'une couleur que je ne pourrais qualifier tant ils sont sombres.

Des coups de feu sifflent au-dessus de ma tête et je suis plaquée au sol sans que j'aie pu le voir venir. J'insulte le policier de toutes mes forces, cet abruti vient de casser mon appareil. J'ai juste le temps de voir mon objectif tomber sur la route avant qu'il ne se fasse rouler dessus par une voiture. Ses bras autour de mon corps, je me débats et lui assène une dizaine de coups de poing. Évidemment, son gilet pare-balles est assez résistant pour que je lui fasse quelque chose, mais c'est pour le principe. D'un coup, je sens que mes pieds ne touchent plus le sol et il me faut quelques secondes pour réaliser que Steven m'éloigne de la banque. Je lui hurle dessus en me débattant, mais il n'a que faire de mes supplications. Je finis par abdiquer, il est bien plus fort que moi et n'a pas l'air décidé à me laisser me soustraire à sa garde une seconde fois.

Au bout de la rue, loin du tumulte du combat faisant rage à quelques dizaines de mètres, il me repose sur le bitume. Je le repousse en plaquant mes deux mains sur son torse. Bordel, il est musclé.

— Steven, putain ! J'allais...

— Tu allais te faire tuer ! hurle-t-il sans me laisser terminer ma phrase. Si ce flic n'était pas intervenu, tu serais morte !

— Et maintenant je n'ai plus d'appareil photo !

Je crie aussi fort que lui, mais il semble ne pas s'en rendre compte.

— Mais c'est tout ce qui t'intéresse ? Publier un papier, peu importe les conséquences ? T'as failli nous faire tuer !

Il soupire un instant, probablement pour reprendre ses esprits, et poursuit :

— Il est hors de question que je travaille avec toi si c'est ta façon de faire.


Ce sont ses derniers mots et il s'éloigne. Il ne me laisse même pas l'opportunité de répondre, il préfère battre en retraite. Quel lâche, et il prétend être un pigiste au cœur de l'action. Agacée par son attitude, je me résigne à ne pas lui courir après, même si je dois admettre que c'est tentant. Je contemple avec effroi ce qu'il reste de mon appareil photo et prends soudainement conscience des risques que je viens de lui faire prendre. Il a peut-être raison de s'en aller, après tout. Je n'ai pas peur de grand-chose, mais il n'est pas comme moi. Je sens que mes nerfs me lâchent et que l'adrénaline s'estompe peu à peu. Je me laisse glisser le long du mur, épuisée.  

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant