Chapitre 3

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CHAPITRE III

Jessy



Je me frotte vigoureusement les mains pour tenter de faire disparaître la trace de sang séchée incrustée entre mes ongles. Le craquement des os du cadavre que je viens de jeter dans le vide-ordure résonne autour de moi et je ferme les yeux. C'est probablement la partie de mon travail que je déteste le plus.

Monsieur Jensen est intransigeant concernant ce genre de comportement, et sa proximité avec Las Vegas est assez riche en concurrence pour que les voleurs, tricheurs, et autres compteurs de cartes nuisent à son business. Lorsque Matt et moi découvrons un comportement suspect, il ne cherche pas à parlementer pendant des heures et je dois me tenir prête. Matt est bien trop sensible pour effectuer ce genre de tâches alors que je n'éprouve aucun remords.

Je travaille ici depuis des années, mais je le connais depuis bien plus longtemps. D'aussi loin que je m'en souvienne, monsieur Jensen a toujours veillé sur moi et il était naturel que je le rejoigne dans son entreprise lorsqu'il eut besoin de renouveler son personnel. C'est lui qui m'a forgé, qui m'a fait grandir, qui m'a protégée à la mort de mes parents. Peut-être avait-il déjà remarqué mon caractère de feu et mes compétences.

Perdue dans mes pensées, je remonte les escaliers qui donnent sur la salle de jeux, frottant énergiquement la tache rougeâtre qui refuse de disparaître. En passant la porte, je bouscule par inadvertance une femme qui laisse s'échapper sa coupe de champagne.

— Excusez-moi ! disons-nous au même moment.

Je m'accroupis pour ramasser prudemment les morceaux de verres éparpillés sur la moquette rouge. Lorsque je tends la main pour saisir le plus gros des débris, je m'arrête, notant la finesse des jambes de la demoiselle, laissées à nu par la jupe fendue qu'elle porte. Mon regard enjôleur remonte le long de ses cuisses jusqu'à ce que le tissu m'empêche d'en explorer davantage. Frustrée, je referme ma main sur le morceau de verre et je lâche un petit cri en réalisant que je viens de m'entailler la paume. Je me redresse en m'excusant de nouveau auprès de la jeune cliente qui me sourit chaleureusement. Elle prend ma main dans la sienne, mais je ne résiste pas. J'admire la délicatesse dont elle fait preuve en retirant un à un les petits fragments dans ma chair meurtrie. Ses yeux sont plissés, elle est focalisée sur sa tâche et j'ai l'impression que rien ne pourra l'en empêcher. Je grince des dents, mais je ne grimace pas. À la place, je bombe le torse et je garde le dos bien droit en souriant.

— Merci beaucoup, mais c'est inutile, je vais...

— J'insiste, me dit-elle en me coupant la parole.

Son regard est si tendre que je suis comme hypnotisée, incapable de m'échapper. Ses yeux sont de la couleur de l'océan et son parfum délicieux me chatouille les narines.

— Vous devriez nettoyer tout ça, me conseille-t-elle.

Ne pouvant détourner mes yeux des siens, je lui réponds :

— C'est gentil. Laissez-moi vous offrir un verre pour me rattraper.

— Uniquement si vous me promettez de désinfecter votre main.

Le sourire aguicheur que je libère malgré moi lui suffit comme réponse et elle me suit vers le bar. Le comptoir en marbre blanc s'étale sur plusieurs mètres et des centaines de bouteilles sont exposées sur les étagères en verre. Les néons de couleur tamisent l'ambiance et j'en profite pour glisser ma main valide dans le dos nu de la jeune femme pour l'inviter à s'installer sur le tabouret haut. Je reste debout auprès d'elle, elle semble plus petite que moi et c'est le meilleur moyen de garder un œil sur les joueurs assis aux tables de jeu. Certains hurlent de joie, laissant s'échapper une petite larme, d'autres pleurent à grosses gouttes, peut-être parce que l'argent destiné à nourrir leur famille pour le mois s'était évaporé en quelques heures à peine.

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant