Chapitre 24

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CHAPITRE XXIV

Clara

Les couleurs du ciel se déclinent dans une combinaison de rose et d'orange. Le soleil n'est pas encore levé, mais je suis prête, je l'attends impatiemment. Assise dans le sable frais, je photographie chaque vague, bien que l'océan soit paisible, ce matin. Je viens ici chaque jour, depuis que Jessy m'a offert cet appareil. L'objectif que j'ai fixé possède l'un des zooms les plus performants de sa catégorie et j'ai l'impression de toucher le soleil lorsqu'il apparaît. Je photographie le même paysage et pourtant, toutes les images sont différentes. C'est ce que j'aime le plus avec l'océan, il n'est jamais constant. C'est comme si l'horizon se renouvelait alors que je m'assois toujours au même endroit. Je ne sais pas pourquoi. Enfin si, je sais pourquoi. C'est ici même que j'ai photographié Jessy et que nous nous sommes promenées pendant de longues heures.

Deux semaines se sont écoulées depuis l'incendie et j'ai toujours la sensation d'être incomplète. Jessy ne m'a pas adressé la parole depuis ce jour-là, et il faut dire que je n'ai pas tenté de la contacter. Je préfère lui laisser le temps de se calmer. Je comprends que la pilule soit difficile à avaler, même si je lui serai éternellement reconnaissante de ne pas avoir vendu la mèche à notre patron. En y réfléchissant, peut-être qu'elle a changé d'avis depuis. Si c'est le cas, je l'ignore, puisque le casino ne doit rouvrir ses portes que dans quelques jours. Je revois encore la colère dans les yeux de monsieur Jensen. Même s'ils ne partagent pas le même sang, il est évident que Jessy est sa fille, elle est aussi hargneuse que lui. Je ne pensais pas qu'un être humain soit capable d'exprimer autant de haine sans en perdre la raison. Eux deux semblent pourtant se porter à merveille.

Le soleil apparaît au loin et je m'empresse de le photographier, sans pour autant cesser de penser à Jessy. J'aimerais tellement lui montrer tout ce que cet appareil est capable de faire. Je suis certaine qu'elle l'a achetée parce que c'était le plus cher, sans prêter attention à ses caractéristiques. D'un autre côté, je ne pense pas qu'elle s'y connaisse dans ce domaine et le vendeur a dû la repérer à des kilomètres.

Je reste assise là pendant des heures. Je ne photographie plus les vagues, je les imprime seulement dans ma mémoire. C'est l'endroit le plus apaisant de San Diego, même si la plage commence à se noircir de monde. Se baigner à cette heure-ci, c'est l'idéal, les températures de l'eau et de l'air sont similaires, mais il est hors de question que j'aille nager en laissant mon appareil sans surveillance et de toute manière, je n'ai pas de maillot de bain. Me baigner nue ne me poserait pas de problème, et je doute que le groupe de jeunes hommes assis à côté de moi y trouve à redire, mais je dois rentrer, Zack m'attend pour monter un meuble. L'assurance vient tout juste de nous rembourser pour les dommages causés par Lorenzo et mon colocataire en a profité pour acheter une bibliothèque pour ranger quelques livres qui se battent en duel. Quand il est défoncé, c'est-à-dire tout le temps, à vrai dire, seule la lecture lui occupe l'esprit.

Je réunis mon sac à main et mon appareil et me lève. Je sens le regard de mes voisins se poser sur mon corps et je souris. Les pauvres, s'ils savaient par qui mon cœur est déjà pris. Je réalise soudain que je n'ai plus posé les yeux sur aucun homme depuis que Jessy est entrée dans ma vie. J'en ai même oublié Steven, dont l'attirance était plus qu'électrique. Je traverse la plage pour retourner vers l'arrêt de bus. La tête baisée, perdue dans mes pensées, je caresse la tête du chien qui vient de courir vers moi comme s'il ne m'avait pas vue depuis une éternité. Sa langue est pendante, mais il me fait la fête en griffant mes jambes laissées à nues par la jupe que je porte.

— Doucement, Jack.

Je relève la tête quand j'entends cette voix. Ce n'est pas une hallucination, ce chien me reconnaît, et pour cause. Jessy s'arrête devant moi, mais continue de courir sur place. Quelques mèches qui débordent de sa queue-de-cheval sont collées à son front, qu'elle essuie de son bras. Une auréole est dessinée sur son maillot, autour de son cou et sur son ventre. Quelqu'un devrait lui signaler que ce n'est pas une bonne idée de porter un haut blanc lorsqu'on va transpirer. Je fixe une goutte de sueur qui glisse le long de sa nuque et je devine l'endroit où elle termine sa course. Ses veines n'ont jamais été aussi visibles et ses muscles sont bandés comme si elle sortait d'une séance intense de musculation. Je suis obligée de maintenir ma bouche fermée pour ne pas baver.

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant