Chapitre 31

382 32 1
                                    

CHAPITRE XXXI

Jessy

Que suis-je censée répondre à ça ? Clara est là, devant moi, dans l'attente d'une explication, mais je suis incapable de la lui fournir. Je fais des allers-retours dans mon salon, oubliant la douleur qui a envahi mon corps. Je suis incapable de réunir les pensées qui se bousculent dans ma tête. Je la mets déjà en danger malgré moi, alors si je lui dis la vérité... Je ne veux même pas y penser. Je connais son caractère, je sais qu'elle se croit prête à affronter Jensen, mais la réalité en est tout autre. Je sais également que si je lui dis la vérité, elle sera incapable de me regarder de la même façon qu'elle le fait actuellement, et je ne suis pas certaine de pouvoir le supporter. Je botte en touche et lui demande :

— Qui était l'homme avec lequel tu es venue au casino ?

Au petit sourire en coin qu'elle m'adresse, je sais qu'elle a percé ma supercherie à jour.

— Le garde du corps de Davidson.

J'écarquille les yeux.

— En parlant de Davidson, Jensen m'a dit que tu étais sa petite-fille.

Elle rit et le son mélodieux qui parvient à mes oreilles m'apaise quelque peu.

— C'était une ruse de Davidson au gala de réouverture.

Devant mon air dubitatif, elle entame les explications. Je ne peux m'empêcher de sourire. Ce vieil homme est décidément plein de ressources. Elle continue de me conter ce que j'ai loupé durant les deux derniers jours et j'avale ma gorgée d'eau de travers. Je tousse avant de lui demander :

— Attends, t'as mangé de la viande chez les Davidson ?

Elle répond par l'affirmative et mon estomac se noue. Je devrais peut-être m'abstenir de commenter, je ne suis pas certaine qu'elle apprécierait de connaître l'origine de sa nourriture. Quoi qu'il en soit, ce vieillard lui a sauvé la vie sans s'en rendre compte et je ne le remercierai jamais assez pour ça, même si je suis tenue de garder le silence.

Je me laisse tomber sur le canapé et Clara me rejoint. J'ai beau y réfléchir, je suis incapable de deviner la tournure des événements et une dispute éclate entre nous. Elle ne cesse de me répéter que je dois m'émanciper de l'homme qui m'a vue grandir, mais je ne suis pas le genre de femme à apprécier qu'on lui dicte sa conduite. Peut-être a-t-elle raison, la fuite n'est pas une solution, mais à l'heure actuelle je n'en vois aucune autre. Une douleur envahissante prend place dans mon crâne alors que je revois sans cesse le regard vil de Jensen s'ancrer dans mon âme. La main de Clara posée sur ma cuisse n'y change rien, ma jambe tressaute sans que je sois en mesure de la contrôler. Je suis incapable de penser. Je me lève et lui tourne le dos. Il est hors de question qu'elle voit les larmes couler le long de mes joues. Entre l'épuisement et la peur, je ne sais même pas pourquoi je pleure, à vrai dire. Sa voix flotte jusqu'à mes oreilles et je la supplie intérieurement de se taire. Excédée, je me retourne pour lui faire face et hurle :

— Mais parce que je t'aime, imbécile !

Le dernier mot est sans doute de trop, mais il fallait que ça sorte. Elle se rapproche de moi et je ne la repousse pas. Ses yeux sont aussi brillants que les miens et sa bouche est ouverte, mais aucun son n'en sort.

— Je ne supporterai pas de te perdre, chuchoté-je.

Elle dépose un délicat baiser sur mes lèvres et je prolonge l'instant, sentant tous mes muscles se détendre instantanément. Ses pouces essuient mes larmes et je ferme les yeux. Elle n'a pas besoin de me répondre, la tendresse dont elle fait preuve est plus parlante qu'un discours entier. Nos bouches se séparent et je colle mon front contre le sien.

— Jensen va te tuer, Clara. Ce n'est pas une métaphore.

— Je sais que tu ne le laisseras pas faire.

Elle en a l'air certaine, mais je ne partage pas son assurance, sur ce point.

— Ce n'est pas aussi simple, chuchoté-je.

Elle s'éloigne et laisse une sensation de froid sur ma peau. Son visage s'est fermé et son regard est indicible.

— Tu n'es pas sérieuse, là ?

— Tu ne comprends pas, bégayé-je.

— Alors, exprime-toi clairement. Tu préfères laisser Jensen me faire du mal plutôt que de me protéger ? Et s'il te demande de t'en occuper directement ?

Me voilà, une fois de plus, dans une impasse. Je me frotte le visage, ignorant la douleur de ma blessure à l'arcade que je viens de raviver. La réponse est évidente, mais il s'agit peut-être d'une occasion qui ne se représentera pas. Si j'arrive à la convaincre que mon allégeance à Jensen est plus puissante que mon amour pour elle, elle s'en ira peut-être et aura la vie sauve. Je baisse la tête pour jouer le jeu, et reste muette.

— Jessy, tu ne peux pas être sérieuse, insiste-t-elle.

— Je suis désolée. C'est mon père, je n'ai pas le choix.

Mon ton est grave et presque désespéré, et quand elle rassemble le peu d'affaires qu'elle a laissé dans mon appartement, je sens mon cœur se déchirer. Bravo, Jessy, tu viens de laisser s'échapper ta seule chance de vivre une relation épanouie. Devant la porte d'entrée, elle me tourne le dos et je décèle une pointe d'hésitation alors qu'elle tient la poignée sans l'actionner. Elle glisse ses deux mains le long de sa nuque et ouvre le fermoir de son collier avant de le déposer dans une petite coupelle sur le meuble d'appoint. Elle claque l'huis sans me porter un dernier regard et je m'approche difficilement. Je ne sais plus si mes blessures sont physiques ou internes. J'ai l'impression que mon corps entier me fait mal, même respirer m'est insupportable. Je me laisse glisser jusqu'au sol, contemplant le pendentif collé dans la paume de ma main. 

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant