L'infiltrée (FxF)

Chapitre 15

CHAPITRE XV

Jessy

Nous marchons côte à côte sur le sable chaud, nos pieds caressant délicatement l'eau lorsqu'elle nous atteint. Nos mains s'effleurent parfois et je me demande si Clara ne fait exprès de faire balancer son bras avec un peu trop d'amplitude pour que nos doigts se rencontrent. Nous parlons de tout et de rien, nous rions, et j'ai l'impression que cette femme a été envoyée par le ciel tellement elle me correspond en tout point. Le petit cri qu'elle libère lorsque Jack l'arrose involontairement fait fondre mon cœur de glace. Il se dégage d'elle quelque chose d'envoûtant que je ne saurai expliquer mais si je m'écoutais, je me laisserais guider volontiers. J'adore mon travail mais quelques fois j'aimerai que Jensen ne soit pas un homme aussi suspicieux. Il est évident que Clara est une jeune femme adorable qui n'a rien à cacher, sinon elle ne passerait pas autant de temps avec moi, mais je doute qu'il l'entende de cette oreille au vu des nombreuses questions qu'elle a posé à nos collègues.

Assises à la table d'un bar de plage, quelques cocotiers en plastique nous protègent des rayons du soleil et nous sirotons tranquillement le verre que je lui ai promis quelques minutes plus tôt. Ses lèvres qui se déposent sur la paille de son cocktail me donnent des idées irrationnelles et je toussote avant de lui dire :

— Tu te plais, au casino ?

Je vois à son regard que ma question impersonnelle la surprend quelque peu, mais il faut à tout prix que je recentre mes pensées.

— Je fais le ménage, Jessy. Ce n'est pas vraiment passionnant.

— Oui, non, bien sûr, bafouillé-je, mais je veux dire, tu t'entends avec tout le monde, les gens sont sympas, non ?

Mais qu'est-ce qui me prends ? C'est comme si j'étais en train de lui parler de la météo.

— Oui, tout le monde est gentil avec moi et puis Jensen ne doit même pas savoir que j'existe alors je suis tranquille.

Elle rit et je suis incapable de détourner mon regard de ses dents blanches qui illuminent mon âme bien plus que le soleil.

— Il n'est pas à la hauteur de sa réputation, dis-je en avalant une gorgée, il a des bons côtés.

— Ah oui ? Lesquels ?

J'inspire profondément en allumant une cigarette avant de lui répondre :

— Mes parents travaillaient pour lui et il m'a recueillie quand ils ont eu un accident de voiture qui les a tué tous les deux.

Je me souviens à peine de leur visage et pourtant je ressens toujours la même douleur dans ma poitrine dès que j'évoque leur décès.

— Il aurait pu me mettre n'importe où et se débarrasser de moi, mais il m'a élevée et quand j'ai été en âge de travailler, il m'a embauchée dans son casino, continué-je.

C'est en réalité un petit peu plus compliqué que ça, mais elle n'a pas besoin que j'entre dans les détails.

— Tu avais quel âge quand...

— Six ans. Ce sont des choses qui arrivent, dis-je en inspirant sur ma cigarette.

— Je ne veux même pas imaginer ce que tu dois ressentir, dit-elle doucement, s'il arrivait quoi que ce soit à mes parents... Je ne veux même pas y songer.

Elle secoue sa tête et Jack l'imite, ce qui brise un peu cette ambiance morose que je viens d'installer. Nous rions toutes les deux et de nouveau, mes yeux se posent sur sa bouche qui ne cesse de m'appeler. Je me lève pour me détourner de ses lèvres et lui propose de continuer notre promenade. Jack acquiesce et je lui indique que ma question ne lui était pas destinée mais Clara a l'air plutôt d'accord avec lui et nous retournons près de l'océan.

Nous marchons doucement en reprenant notre conversation à propos de Jensen. Je lui explique ce pourquoi j'ai du m'absenter aujourd'hui et elle me réprimande sur ma trop grande disponibilité. Ce n'est pas comme si j'avais le choix de lui obéir, c'est tellement naturel pour moi, il m'a élevée de cette manière.

Nous échangeons sur nos vies, sur ses parents, sur ses études dans le monde de la photographie. Je vois ses yeux briller lorsqu'elle évoque sa passion sans relâche depuis plusieurs minutes. J'ai l'impression qu'elle pourrait en parler pendant des heures. Je regarde attentivement l'air qui se dessine sur son visage lorsqu'elle capture le mouvement des vagues qui s'échouent à mes pieds. Je pourrai admirer ce visage émerveillé pour le restant de ma vie. L'objectif de son téléphone remonte progressivement le long de mon corps et je me prends au jeu, posant comme si je défilais sur un podium habillée de vêtements de haute couture. Nos voix se mélangent et plus aucun bruit ne semble subsister hormis notre rire harmonieux. La séance se termine lorsqu'elle se rapproche de moi d'un pas léger, presque hésitant. Elle retourne son téléphone et nos deux visages rapprochés apparaissent sur l'écran. Je peux sentir le contact de sa joue contre la mienne et je n'ai pas besoin de me forcer à sourire.

Lorsque nous descendons toutes les deux de ma voiture, devant son immeuble, j'ai la sensation que cette journée a duré une éternité et je ne veux pas qu'elle s'achève. J'ai savouré chaque instant passé avec Clara mais malheureusement elle touche à sa fin, la nuit s'étant abattue sur San Diego depuis des heures. Je l'accompagne jusqu'à la porte de son appartement dans un silence presque pesant. Je suis certaine qu'elle a passé un aussi bon moment que moi, autrement elle aurait ouvert la porte depuis plusieurs minutes.

— J'ai vraiment passé une journée merveilleuse, merci, dit-elle en me regardant fixement dans les yeux.

— Moi aussi. Dors bien, ajouté-je après un court instant.

— Toi aussi.

Elle termine sa phrase mais ne se retourne pas pour entrer chez elle. Mes mains sont moites et tremblent légèrement. Je suis certaine qu'elle attend la même chose que moi, alors je réunis tout mon courage et m'avance d'un pas vers elle. Mon corps touche presque le sien et une bouffée de chaleur m'envahit soudainement. Je me penche vers elle et dépose sur sa joue le plus tendre des baisers avant de m'éloigner sans poser de nouveau les yeux sur elle. Si je la regarde, je serais incapable de résister et je veux me protéger. Si malgré tout Jensen dit vrai, je serais obligée de la tuer.