Chapitre 2

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CHAPITRE II

Clara



— C'estde la merde ! hurle mon patron en me lançant mon papier auvisage.

Je me penche pour ramasser le document, les yeux humides. Je me redresse et croise son regard acéré. Je m'abstiens de formuler un commentaire, je sais que c'est peine perdue, il ne changera pas d'avis. Mes mains tremblent d'elles-mêmes et lorsque je pose les yeux sur la feuille que je tiens, je remarque des dizaines d'annotations à l'encre rouge. Certaines lettres sont soulignées, quelques mots sont entourés et des phrases entières sont rayées. Il m'ordonne de quitter son bureau et je sors sans me retourner.

Je me laisse tomber sur la chaise en métal froid et je sens un frisson parcourir mon corps. La tête baissée, dépitée, je me plonge dans la relecture de mon article. Moi qui ai toujours été d'une nature enjouée et enthousiaste, je dois admettre que cette entrevue m'aminé le moral.

Je soupire un peu plus chaque minute sans m'en rendre compte, prenant conscience que l'article sur lequel j'ai travaillé de longues heures ne mérite pas d'être publié. Il a raison, le sauvetage d'un chaton par les pompiers de San Diego n'est pas digne de figurer dans le journal le plus en vogue de la ville. De rage, je froisse la feuille et la lance dans la poubelle.

Je me sers un café et reprends ma place devant la petite table lugubre et lève les yeux au plafond. Il est clair que jamais je n'aurai mon propre bureau, dans une pièce ensoleillée et bien décorée. J'aurai même rêvé d'avoir une petite plante grasse dans un coin. Mais tout ce que je vois à l'heure actuelle, c'est que mon rêve s'éloigne peu à peu. Moi qui m'étais juré de me faire un nom parmi les plus grands journalistes du pays, les douze sujets proposés à mon rédacteur en chef ont tous été refusés. Je me frotte la tête machinalement lorsqu'un bruit sourd interrompt ma réflexion et me fait sursauter. Je renverse quelques gouttes de mon café sur mon chemisier blanc et jure silencieusement devant le regard vil de mon patron. Il pointe du doigt l'énorme pile de dossiers qu'il vient de jeter sur la table et m'ordonne :

— Rangez tout ça aux archives, c'est tout ce dont vous êtes capable.

Il me rend hors de moi, mais je m'oblige à me calmer et m'empare de la pile. La dernière chose dont j'ai besoin en ce moment, c'est d'être virée pour insubordination, mais je dois admettre que la tentation de lui mettre mon poing dans la figure est grande. Je continue de rêvasser à mes projets de carrière devant l'ascenseur, mais j'ai les mains trop prises pour pouvoir appuyer sur le bouton d'appel. Agacée, je donne un grand coup de pied dans la double porte. Patron à a con. Boulot à la con.

— Attends, Clara ! Je vais t'aider !

Je l'entends se rapprocher de moi en courant et je souris un peu naïvement. J'avais bien besoin de lui pour me changer les idées. Il appelle l'ascenseur pour moi et me décharge de mes dossiers. Je laisse mon esprit divaguer en voyant ses biceps tendus dont les veines apparentes me font déglutir difficilement.

— Merci, Steven, lui dis-je.

— Tu descends tout ça aux archives ? me demande-t-il.

— Ouais, c'est mon boulot.

Je soupire, désemparée, mais son regard charmeur suffit à me requinquer lorsqu'il entre dans l'ascenseur et se décale pour me laisser le rejoindre. Je dois admettre qu'être enfermée avec lui dans cette petite pièce est propice à laisser mon imagination se permettre de s'envoler. Malheureusement pour mes fantasmes, la petite cloche annonçant notre arrivée au sous-sol vient de sonner.

Dans la grande salle qui s'étend à perte de vue, je soupire de nouveau avant de m'affairer à la seule tâche qui va probablement m'être confiée pour le restant de mes jours. Je remercie Steven et le congédie d'un sourire gracieux, mais lorsqu'il pose sa main sur mon épaule mon corps se raidit et je n'ai pas d'autre choix de rester immobile lorsqu'il chuchote :

— Laisse-moi t'aider, j'ai rendu mon papier de bonne heure aujourd'hui.

Je suis incapable de lui adresser un mot, alors je laisse mon sourire béat lui répondre de lui-même. Il me prend le dossier des mains et je sens nos doigts se chevaucher un court instant. Le frisson qui parcourt mon corps se propage à mon entre-jambes et je suis incapable d'émettre le moindre bruit. Mes yeux se perdent sur le bas de son dos lorsqu'il se penche le ranger sur les étagères et je hausse un sourcil. C'est dingue comme ce pantalon le met en valeur. Déstabilisée par cette envie soudaine de lui ôter tous ses vêtements, j'en laisse tomber la pile que je viens de ramasser.

Je crie en m'agenouillant et farfouille nerveusement dans les feuilles dispersées au sol en tentant de les remettre en ordre. Je m'attarde sur le titre accrocheur d'un article, puis d'un second et d'un troisième. Je me plonge dans leur lecture, transportée par les récits fascinants que je découvre. Je suis totalement immergée dans les histoires qui me sont contées et je pense que mes yeux s'écarquillent sans que je m'en rende compte. Je sursaute lorsque Steven pose sa main sur mon épaule et me sort de mon récit.

— Qu'est-ce que tu as ? me demande-t-il.

— Rien, c'est juste...

Je me coupe, il est inutile que je poursuive. La carrière prodigieuse que je m'étais imaginée s'éloigne chaque jour un peu plus, même si lire les papiers des autres me conforte dans ma décision d'exercer ce métier. Chaque étudiant de l'école de journalisme se voit comme celui qui réussira à percer dès le début, mais j'étais certaine de réussir. Lorsque je vois ce à quoi je suis cantonnée, je ne peux m'empêcher de penser que mon talent est délaissé, alors qu'il pourrait être employé pour révéler la vérité aux lecteurs.

Devant le regard interrogateur de Steven, je poursuis :

— Ces articles sont vraiment bons.

Il se met à rire et ce son me réchauffe le cœur.

— Ils sont juste accrocheurs. Ce sont des histoires banales, mais racontées d'une manière qui font rêver le lecteur. Un peu comme toi, en ce moment, me répond-il.

— C'est fascinant, lui dis-je, un peu rêveuse.

— Pas vraiment, me contredit-il, c'est du journalisme de pacotille. Un vrai pigiste doit se plonger au cœur de l'action pour raconter quelque chose au plus proche de la réalité. Il faut ressentir les sensations qu'on décrit si on veut qu'elles soient transmises à celui qui lira notre papier. Ceux qui travaillent ici le savent et sont tout le temps dehors à la recherche d'un prochain article, et non prostrés derrière leur bureau.

Je suis fascinée. En plus d'être beau, c'est l'homme le plus intelligent que j'ai rencontré depuis bien longtemps. Il exerce son métier avec passion et ça se sent. J'ai l'impression que nous partageons la même fougue et ça me remonte le moral. Il est hors de question que je laisse cet abruti de patron m'empêcher de réaliser mes rêves.

— Les rubriques que tu lis ne valent rien. Viens avec moi, je vais te montrer deux ou trois trucs, si tu veux.


Il me tend la main et j'hésite un instant avant de le toucher, je sais quel effet il me fait, mais sa proposition est bien trop tentante pour que je la refuse.  

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant