Chapitre 21

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CHAPITRE XXI

Jessy

Mon estomac crie famine, mais je n'ai pas mangé depuis deux jours tant ma gorge est nouée. La colère se mêle à la désolation et forme un mélange des plus destructeurs. J'ai l'impression que mes jambes ne sont plus en mesure de supporter mon poids et chaque pas donne la sensation d'être le dernier. J'avais décidé d'entrer dans le jeu de Clara pour voir combien de temps elle allait me tromper, mais j'en ai été incapable. La voir faussement me sourire dès le réveil m'a donné des envies de meurtre et à son retour, sentir ma main dans la sienne m'a procuré la nausée. Dire que je me suis battue avec mes états d'âme pour m'autoriser à la fréquenter. J'aurai mieux fait de m'abstenir. J'ai été tellement stupide de croire que je lui plaisais, j'ai envie de me donner des claques, quand j'y pense. Heureusement pour elle, Clara n'est plus revenue au casino depuis que j'ai découvert le pot aux roses, sinon elle serait morte. Peut-être que le fait de ne plus la revoir m'aidera à dissiper la colère plus vite et au moins, je n'ai pas besoin de dire la vérité à Jensen. Cela dit, ça m'aurait permis d'obtenir une enveloppe bien garnie.

Je réfléchis devant les portes du casino en fumant ma cigarette. L'une de nos machines à sous est tombée en panne et l'entreprise doit venir la réparer. Pour sécuriser au maximum les jeux, la gérance d'un casino n'a aucun accès aux paramètres de la machine. J'attends l'employé patiemment, il a plus de dix minutes de retard. Lorsque j'aperçois enfin une camionnette blanche au loin, j'écrase ma cigarette dans le cendrier. Un homme à la barbe bien taillée se rapproche de moi, un cigare fumant collé aux lèvres. Il me tend sa main molle et je la lui serre fermement. Peut-être un peu trop, à en voir la crispation de son visage. Je m'excuse brièvement et le conduis à l'intérieur.

La grande salle est presque déserte à cette heure de la journée, et je dois admettre que c'est agréable à l'oreille. Travailler ici n'est pas de tout repos, entre le bruit des joueurs et des machines, et les couleurs criardes des jeux de lumière, nos sens sont en éveil perpétuel. Le bar est vide de tout client et je ne peux m'empêcher de serrer le poing lorsque je pose mon regard sur le comptoir en marbre. Je soupire pour me recentrer et continue mon chemin avec le réparateur. Pendant qu'il s'affaire, je scrute les alentours, par habitude, probablement. Maddy se rapproche de moi et je lui souris. Même ce geste me fait mal de l'intérieur, à croire que je n'en suis plus capable. Elle dépose un tendre baiser sur ma joue et disparaît. Je la regarde s'éloigner en relevant un sourcil. Elle n'a jamais eu ce genre de comportement avec moi. Son humeur enjouée s'est évaporée et son visage est presque triste. Je l'interpelle et la questionne. Elle se contente de sourire en coin avant de me dire :

— Et toi, tu vas bien ?

— Euh, oui, je te remercie.

Vu les cernes sous mes yeux et les traits tirés de mon visage, je doute qu'elle me croie, mais je tente quand même. Je ne suis pas du genre à m'épancher sur mes sentiments. Au sourire incrédule qu'elle m'adresse, il est certain qu'elle a remarqué que je tente de la duper. Je ne m'éternise pas et retourne près de l'employé de la société de réparations. Je suis fascinée par ce que je vois. De nos jours, une machine à sous est un ordinateur et ses doigts agiles parcourent les fils et puces électroniques avec aisance. Nous sommes bien loin des rouleaux mécaniques d'autrefois. Avant qu'il ne termine de configurer le programme, je lui glisse une liasse de billets dans la main, sur ordre de Jensen. Cet homme est le seul à pouvoir trafiquer la machine pour qu'elle redistribue moins d'argent que la réglementation lui impose. Il glisse l'argent dans sa poche sans dire un mot, sans même prendre la peine de me regarder et reprend son travail. Quelques secondes plus tard, il hoche la tête et je le raccompagne.

J'en profite pour fumer une énième cigarette. La journée vient à peine de commencer et j'entame mon deuxième paquet. La trahison de Clara a un tel effet sur mes nerfs que c'est le seul moyen de m'apaiser, même si le repos est de courte durée. En y songeant, peut-être que la dénoncer à Jensen est la solution. Si elle disparaît totalement, je n'aurais plus de raison d'être en colère. C'est décidé, je vais le faire. C'est le seul qui ne m'a jamais trahie et qui a toujours pris soin de moi, et je suis certaine qu'il continuera de le faire pour le restant de sa vie, même si je risque de passer un sale quart d'heure. C'est un risque à courir, mais je lui suis loyale et j'accepterai la sanction.

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant