Chapitre 14

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CHAPITRE XIV

Clara

Même si je n'ai jamais vu un appartement aussi luxueux de toute ma vie, le temps commence à se faire long, surtout quand on est seule chez quelqu'un que l'on connaît à peine. Je cajole Jack qui n'a pas bougé de mes cuisses depuis que je lui ai donné une friandise. Mes yeux sont rivés sur le magnifique tableau accroché au-dessus de la télévision et je réfléchis, un peu perdue. Si Jensen avait réellement quelque chose d'illégal à cacher, il n'autoriserait pas son bras droit à sortir avec moi, et Jessy ne prendrait pas le risque de me laisser toute seule chez elle. Ma seule interrogation est sur son salaire parce que je n'arrive pas à comprendre comment elle peut se payer ce genre de choses. Je ne sais pas à quel étage est situé cet appartement, mais j'ai l'impression que le soleil fonce tout droit vers les baies vitrées. À cette pensée, je me lève et m'avance sur la terrasse. C'est vraiment magnifique, mais le soleil est à son zénith et je ne peux supporter davantage d'être à l'extérieur. Je retourne dans la chambre de mon hôte et décide de prendre une douche. Je ne sais pas combien elle a de parfums sur l'étagère, mais ça explique qu'elle sente aussi bon. C'est amusant, derrière ses allures de dur à cuir, c'est une femme coquette qui prend soin d'elle. Je prends une douche froide. L'été est vraiment féroce, cette année. Quand je m'essuie avec le peignoir que je revêts depuis ce matin, je réalise que mes vêtements dégagent une odeur affreuse de tabac froid mélangé au rhum. J'ouvre la penderie de Jessy et reste immobile. Il doit y avoir une dizaine de chemises noires identiques et des tenues de sport. Toute sa vie est résumée en ouvrant ce placard, finalement. Je passe une de ses chemises en me regardant dans le miroir. Évidemment, je n'ai pas assez de muscles pour que mes bras et le tissu se marient, comme ils le font si bien sur elle. Je remets mon pantalon de la veille et enfile mes chaussures. Assise sur le lit de Jessy, je constate qu'un tapis mettrait parfaitement cette pièce en valeur, mais je n'y repense plus en sortant de la pièce.

Une laisse est accrochée sur le porte-manteaux de l'entrée et Jack se rue vers moi avant que j'ai eu le temps de la saisir. Il saute, remue, voltige presque, et je suis incapable d'attacher le lien à son collier jusqu'à ce que je le menace de le laisser ici. Il me gratifie d'un coup de langue sur le revers de ma main et j'ouvre la porte. Alors que je mets un pied en dehors de l'appartement, je reviens sur mes pas et gribouille quelques mots sur le calepin disposé à côté du téléphone. Je relève un sourcil. Qui, de nos jours, a encore un téléphone fixe dans son salon ?

La rue de Jessy est interminable et s'étend à perte de vue. Je ne sais pas trop dans quelle direction je marche mais les mouettes qui rôdent au-dessus de ma tête semblent m'indiquer le chemin à emprunter, sans compter le chien que je tiens à bout de bras qui me force à accélérer ma cadence. Le soleil qui s'abat sur moi me brûle les yeux et je marche la tête baissée, contrairement à Jack, qui se dandine fièrement.

Lorsque j'aperçois l'océan, je pousse un soupire. Enfin. J'ai l'impression d'avoir marché pendant des heures mais la récompense en vaut largement le coup. Les effluves des embruns se propagent à mon nez et je hume profondément. La brise marine m'apporte toute la fraîcheur dont j'ai besoin pour faire diminuer ma température après cette longue marche. Je retire mes chaussures et plonge mes pieds dans le sable brûlant. Jack jappe et, après un regard furtif sur lui, je comprends ce qu'il attend de moi. Je souris et laisse s'échapper la laisse en entamant une course vers les vagues. Je perds ce duel et applaudis bêtement quand je le vois l'animal sauter dans l'eau. Il rejoint quelques enfants jouant au ballon sur la rive et je l'invective lorsque je vois ses crocs s'en rapprocher dangereusement.

— Jack, non !

Étonnement, il m'obéit mais ne s'éloigne pas, comme happé par le mouvement de la balle qui passe de mains en mains près de lui. Son regard me donne une idée et je sors mon téléphone de ma poche pour en capturer l'image. Je m'arrête une seconde, songeant à quel point mon appareil photo me manque, puis photographie tout ce qui passe devant mon objectif. La qualité de l'image n'est pas merveilleuse, mais au moins j'ai l'impression de ne pas perdre la main. Depuis que je suis employée au casino, je n'ai pas vraiment eu le temps de m'exercer, je n'ai d'ailleurs pas reparlé à Steven depuis cette fameuse journée. Il multiplie les appels sur mon téléphone mais je n'ai pas eu l'occasion de décrocher. Je suis toujours en train de refaire un lit ou de nettoyer une salle de bain quand il tente de me joindre.

Je m'amuse tout autant que le petit chien qui saute dans les vagues et mon regard se perd sur les mouettes qui virevoltent au loin. Leur danse est parfaitement chorégraphiée et la vieille dame assise sur sa chaise en plastique n'y est pas pour rien. Je m'approche d'elle en continuant de prendre des photos. Les morceaux de pain sec qu'elle lance sont flous mais les animaux qui plongent pour chasser leur nourriture sont magnifiques. Je m'attarde sur cette femme et photographie son visage sous plusieurs angles. Ses traits sont tirés mais malgré les nombreuses rides dessinées sur sa peau, son regard émerveillé est étincelant. Elle sourit à chaque fois qu'une mouette gobe le pain avant qu'il ne touche le sable et je souris à mon tour. Dans sa jeunesse, elle devait être une femme magnifique.

J'entends les enfants derrière moi s'esclaffer et je me retourne rapidement pour empêcher Jack de se ruer sur la balle, mais je n'arrive pas à trouver le chien. Merde ! Je me suis laissée déconcentrer et il en a profité pour s'enfuir ! Je scrute chaque parasol, chaque serviette de bains, chaque endroit où il serait susceptible d'être allé fouiner, en vain. Un vent de panique m'envahit soudain. Jessy va me tuer, c'est certain ! J'entame une course à travers la plage, effleurant les vagues qui viennent mourir à mes pieds. Je ne sais plus si les gouttes qui coulent le long de mes tempes sont dues à la chaleur ou à la crainte de la réaction de Jessy quand je lui avouerai la vérité. Je continue ma chevauchée, esquivant de justesse le château de sable d'un garçonnet qui ne me voit même pas. Mais où est passé ce cabot ?

Je ne tarde pas à arriver sur un petit parking et m'assois sur un banc pour reprendre mon souffle. Je viens de travers la plage de long en large à la recherche de Jack, je suis épuisée. Les yeux dans le vide, je sursaute lorsque je sens quelque chose d'humide me parcourir le bras.

— Putain !

J'entends un rire mélodieux et redresse la tête. La jeune femme qui se tient devant moi glisse dans sa poche le téléphone qu'elle tenait à son oreille et me dit :

— Jack te fait des misères ?

Je reconnaîtrais cette voix entre mille, bien qu'avec ses lunettes de soleil ce n'était pas chose aisée. Je réalise à ce moment que la langue râpeuse qui vient de me chatouiller le bras appartient à la bête qui me fait courir depuis dix minutes. Je soupire, à la fois soulagée et à bout de nerfs. Jessy s'installe sur le banc auprès de moi.

— J'étais en train d'appeler le casino pour avoir ton numéro, me dit-elle.

C'est à la fois attentionné et un peu flippant.

— Comment savais-tu que j'étais là ?

— Tu m'as laissé un mot me disant que tu allais te promener avec Jack et il adore cet endroit. Il a du reconnaître le bruit de la voiture.

— Ouais, dis-je, exaspérée.

Je n'ai même plus envie de poser mes yeux sur lui. Je suis bien trop en colère pour lui pardonner si facilement. Je ne ressens même plus la joie de ma séance photo. Agacée par le rire de Jessy qui résonne encore autour de moi, j'explose :

— Ça fait plus de dix minutes que je le cherche partout ! J'ai cru qu'il s'était enfui et que j'allais devoir te dire que j'avais perdu ton chien !

Elle rit, amusée, et la voir comme ça m'agace encore plus et je lui adresse un regard si noir que je n'ai pas besoin d'ouvrir la bouche pour qu'elle comprenne ce que j'ai à lui dire.

— Arrête de t'énerver, il a entendu la voiture, il est venu me chercher, c'est tout. On l'a retrouvé, c'est tout ce qui importe. Allez viens, dit-elle en se levant, je t'offre un verre.

Elle me tend la main et je l'accepte. Je ne suis pas le genre de femme à être rancunière et je ne peux rien refuser à ce petit sourire en coin.

L'infiltrée (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant