Vingt deuxième Chimère

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Yoongi avait fait une pause dans son récit.

Son pouce caressait lentement le dos de ma main qui était toujours dans la sienne.

Bien que le geste me parut incroyablement intime et dérangeant, je ne me dégageais pas, attendant qu'il recommence à parler, mais il fixait nos mains entrelacées sans vraiment les voir. J'avais le sentiment que son regard se portait sur quelque chose de bien plus lointain que ce simple geste.

Je l'appelais doucement par son prénom pour le faire revenir près de moi, troublée par la soudaine fragilité qui se dégageait de lui.

Il semblait beaucoup plus impacté que je ne le pensais par cette histoire. En fait, je n'avais même jamais pensé que cela puisse autant l'affecter.

Le Min Yoongi qui me tenait la main à ce moment-là, était l'opposé de celui que je pensais connaitre.

Je répétais son nom avec lenteur, comme on aurait parlé à un animal pour éviter de l'effrayer.

Il cligna des yeux pour reprendre pied dans la réalité et recommença à parler, le regard toujours fixé sur nos mains comme si elles lui donnaient la force de continuer.

- Tu t'appelais Ha-na. Tu devais avoir dix-huit ans quand nous nous sommes mariés. Ce n'était pas un mariage d'amour, du moins dans un premier temps. C'était une union arrangée comme cela se faisait à cette époque entre grandes familles.

Nous faisions partie de la classe sociale dite Yangban*, l'équivalent de la noblesse. J'occupais un poste de fonctionnaire au palais et tu étais la sœur d'un haut dignitaire militaire.

Il était ruiné et avait conclu un accord avec ma famille pour en quelque sorte " te vendre" tout en sauvant l'honneur de la famille.

De ce que j'ai pu voir dans mes régressions, je n'ai pas posé de questions et je me suis incliné devant le désir de ma famille. Une rencontre préliminaire eut lieu et je suis tombé amoureux de toi, enfin d'Ha-na au premier regard.

Ce jour-là, tout à ma joie d'épouser la femme que j'aimais, je ne me suis pas posé de questions devant ton chagrin.

L'image d'Ha-na dans le palanquin, le visage ravagé de larmes, s'imposa à mon esprit.

- Elle était malheureuse de ce mariage et pleurait chaque jour que Dieu faisait. Dans mes rêves, je me voyais essayer de l'approcher pour la consoler et la rassurer, mais même si elle se laissait à accepter ma tendresse parfois, l'ombre de tristesse qui voilait ses yeux ne la quittait jamais.

Il bougea légèrement sur le canapé, mal à l'aise. Il semblait vivre les sentiments de cette vie antérieure comme si c'étaient les siens, j'en étais profondément troublée.

Il reprit la voix légèrement rauque.

- Il y avait quelqu'un dans son cœur et ce n'était pas moi.

Émue par la tristesse que je sentais dans sa voix, je serrais brièvement sa main pour l'encourager à continuer.

- Elle était amoureuse de son ami d'enfance, un Jungin** de classe moyenne, qui, bâtard d'un noble et d'une servante, avait été élevé avec elle. J'ai revécu une scène dans laquelle elle me le hurlait.

L'ombre de l'homme "émeraude" apparut automatiquement devant mes yeux comme une évidence.

- Elle était malheureuse. Je sentais son chagrin dans chacun de mes rêves, une tristesse inouïe et moi, je souffrais. Je la détestais de ne pas m'aimer et de chérir un fantôme. Je l'aimais et la détestais chaque jour un peu plus.

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