Chapitre quarante

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[Ne cours pas trop vite dans d'autres bras après une rupture. Tous les paysages ressemblent au paradis lorsqu'on revient de l'enfer.
Lucas Clavel]

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Gabriel, je ne sais pas quoi te dire de plus, si ce n'est que je suis désolé, et que je t'aime. Que je ne sais pas moi même si ma décision me mènera quelque part, encore moins si c'est la bonne, si j'ai eu raison. Toi et moi avions peut-être trop à perdre dans cette relation, même si je m'en remettrai sûrement jamais. J'ai conscience d'avoir fait n'importe quoi, avec toi, avec elle, avec tout le monde. Et que c'est de ma faute si, nous tous, on en est là aujourd'hui. Je pense, et je comprends, que tu me pardonneras pas. Mais je suis désolé quand même. Je t'aime. Pardon.

Le corps étendu sur son lit, allongé sur son flanc droit et la couverture repliée sur ses hanches, Gabriel parcoure des yeux ce message, reçu il y a maintenant trois semaines.
Pour, au moins, la cent quarantième fois.

Dans l'obscurité de la chambre, seul l'éclairage un peu criard de l'écran de son téléphone illumine son visage et le plafond. La respiration lente, pas apaisée pour autant, il mordille nerveusement l'intérieur de sa joue en reprenant -encore- sa lecture depuis le début.
Prenant le temps d'analyser et de décrypter chaque mot comme s'il venait de les découvrir, la petite voix de l'intérieur de sa tête imagine celle d'Aly, récitant ces phrases écrites.
A force, il le connaît par cœur, ce message, à la virgule près.
Mais l'intensité reste la même, à chaque fois qu'il l'ouvre à nouveau, et qu'il balaie les lettres du regard.
Ça fait toujours aussi mal.

Il aurait voulu lui répondre, il a essayé de le faire.
Au début.

Le jour de sa réception, juste après l'effondrement de tout, il a tenté de rédiger une réponse. Une fois, trois fois, vingt fois.
Mais les mots s'emmêlaient, se déformaient entre ses pensées et ses doigts qui frappaient le clavier, et il n'a jamais réussi à trouver la formulation juste.
Alors, après trois jours à tourner et retourner les phrases dans sa tête, il a lâché l'affaire, et n'a jamais répondu.

Pourtant ...

Il y avait tant de choses à dire, il y en a toujours d'ailleurs. Il aurait aimé réussir à retranscrire ses sentiments avec les lettres, au travers des mots. Il voulait lui dire, a quel point sa décision lui a fait mal, lui fait encore mal aujourd'hui, chaque matin, chaque soir, à chaque respiration et chaque battement de cils.
L'amour, la colère, la déception, la rancœur, il voulait lui parler de tout ça.
De la déchirure de son cœur, de la rage qui a animé ses nuits, des pleurs qui ont coupé sa respiration, des insomnies qui ont déréglé son horloge biologique.

Du plus profond qu'il l'aime, à la force de ses sentiments, il n'a pourtant pas réussi à lui pardonner. Parce qu'Alaric l'a laissé tomber quand le moment de se battre est arrivé, parce qu'il s'est enfui quand il fallait affronter et assumer. Parce qu'il l'a détruit, qu'il a effrité ses fondations, tranché sa gorge et étranglé son souffle.
Il l'a rendu accro, lui a fait voir jusqu'où il pouvait le rendre fou, a murmuré la passion et le désir au creux de sa bouche, puis, entre deux pulsations d'amour, il a disparu.
Et Gabriel, perdant l'équilibre sur la pente chaotique du ravin, n'a pu que tomber, et accuser le choc de l'atterrissage en fermant les yeux.
Il s'est brisé quelques os dans la chute, il a senti ses épaules se tordre et ses côtes se disloquer, il a eu mal.
Il a pleuré.

Comme jamais de sa vie il n'avait pleuré.

Pendant des heures, des jours, des nuits.
Et il aurait voulu le lui dire, que son souffle ne l'oxygène plus, que ses jambes ne le portent plus, que son cœur ne fonctionne plus, et que sa voix s'est étranglée.
Qu'il l'aime sans pouvoir lui pardonner, qu'il manque de lui sans avoir le courage de chercher sa présence, qu'il a besoin de sa peau sans avoir la force de l'imaginer encore.
Il aurait voulu l'appeler et crier dans le téléphone, l'insulter, le pourrir, le salir, maudire toute sa putain de lignée, puis lui chuchoter ses sentiments.
Ensuite, il lui aurait dit d'aller crever, de prendre soin de lui, mais d'aller crever quand même. Voilà ce qu'il voulait faire.
Et il en a rien fait du tout.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant