Chapitre trente-cinq

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[Elles sont bien noires, les pensées des nuits blanches.
Edmond & Jules de Goncourt]

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Gabriel, je ne sais pas quoi te dire de plus, si ce n'est que je suis désolé, et que je t'aime. Que je ne sais pas moi même si ma décision me mènera quelque part, encore moins si c'est la bonne, si j'ai eu raison. Toi et moi avions peut-être trop à perdre dans cette relation, même si je m'en remettrais sûrement jamais. J'ai conscience d'avoir fait n'importe quoi, avec toi, avec elle, avec tout le monde. Et que c'est de ma faute si, nous tous, on en est là aujourd'hui. Je pense, et je comprends, que tu me pardonneras pas. Mais je suis désolé quand même. Je t'aime. Pardon.

Assit en tailleur sur le canapé, seul dans le salon au beau milieu de la nuit alors qu'il a terminé son service depuis un peu plus d'une heure, Alaric lit et relit encore ce message. Depuis qu'il l'a envoyé, il l'a lu peut-être cent cinquante fois.
Et à chaque fois, il regrette de ne pas avoir plus insisté sur ses sentiments, sur ses regrets, sur sa peine.
Ou bien il se dit qu'il aurait pu mieux formuler ses phrases, prendre le temps de structurer davantage son texte, ou de préciser qu'il espérait une réponse.

Parce que ce message, il l'a envoyé il y a près de deux semaines, le lendemain de l'effondrement de leur secret, alors que Sacha préparait ses affaires pour venir s'installer chez lui.
Et à ce message, Gabriel n'a jamais répondu.

Il le comprend, il ne lui en veut pas.
A sa place, il n'aurait peut-être pas répondu non plus, simplement parce que ça ferait bien trop mal. Pourtant, ça le blesse quand même de n'obtenir aucun retour de sa part, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il va bien malgré tout, qu'il ne se sent pas trop seul, qu'il n'a pas eu trop d'ennuis avec son patron pour cette histoire de fourgon.

Alors, comme une obsession, il continue de lire et de relire son propre message, espérant naïvement que Gabriel finira par lui répondre quelque chose, même deux semaines plus tard. Il ne sait pas vraiment si c'est la colère, la tristesse ou la rancœur qui empêche Gabriel de lui écrire et, si ça ne tenait qu'à lui, il aurait insisté.
Quitte à le harceler de messages, jusqu'à ce qu'il finisse par lui dire quelque chose, même n'importe quoi.

Même un "ok".

Mais se comporter ainsi ne ferait qu'amplifier l'ironie de ses propres décisions, c'est de sa faute si Gabriel refuse de lui parler. Insister pour obtenir une réponse serait bien égoïste de sa part après ce qu'il lui a fait.
Alors, même si ça lui a coûté de se contenter d'un seul texto, il n'en a pas envoyé d'autre.

Ça ne change rien au fait que Gabriel lui manque tout le temps, et que son cœur se serre en permanence. Même à l'hôpital, alors que son travail lui permettait autrefois de penser à autre chose pendant ses interventions.
Plus rien ne parvient désormais à soulager son esprit.
Fatigué, à bout de nerfs et de souffle, il se sent constamment vidé de toutes ses forces. Les journées sont devenues interminables, encore plus après le travail, quand il rentre à l'appartement à des heures normales et qu'il doit retrouver Sacha dans le salon ou la cuisine.
Il se sent particulièrement mal à l'aise de la savoir chez lui, d'affronter son regard plusieurs fois par jour, et de l'entendre lui parler comme si de rien était.

Parce que Sacha a décidé d'agir comme si Gabriel n'avait jamais existé.

Comme si rien de tout ça n'était arrivé, comme si elle était simplement en vacances chez son meilleur ami dans le meilleur des mondes, elle sourit niaisement en le saluant gaiement tous les jours. Et tous les jours, Alaric serre les dents et retient sa respiration dès qu'il passe le pas de la porte.
Honnêtement, il préférerait qu'elle le regarde de travers, ou qu'elle lui crache à la gueule comme l'a si bien fait Quincy, quand elle est venue l'insulter de tous les noms jusque dans sa chambre.
Mais cette indifférence, doublée d'hypocrisie sans nom, le ronge un peu plus chaque jour.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant