Chapitre trente-trois

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[Il y a des moments où la chaleur d'une amitié, une main tendue, un sourire sincère sont aussi nécessaires que l'oxygène que l'on respire.
Anne Duguël.]

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Les chevilles engluées dans le sol et la colonne vertébrale tordue, déformée par l'angoisse et le poids de ses mensonges, il demeure silencieux, la bouche cousue par le fil de la honte.
Ça fait un moment qu'il ne dit plus rien, immobile et impuissant.
Une vibration incertaine diffuse à travers sa poitrine, comme une onde de choc qui n'en finit jamais de se propager, et ses côtes de referment à chaque nouvel élan douloureux.

Devant lui, face à lui et pourtant déjà si loin, Alaric tremble comme une poupée de chiffon, les joues dans l'eau, les yeux remplis de remords et la bouche poisseuse de désespoir. Les dents serrées d'appréhension et tâchées d'indignité, il semble avaler la salive collante d'humiliation du fond de sa langue avant de souffler près du micro.

– Je ... Je vais venir chez toi, je ... Attend moi s'il te plaît.

Comme dans un réflexe, les tympans bourdonnants et la gorge crépitante d'oppression, Gabriel redresse brutalement ses épaules, fixant son regard affolé dans celui de l'amour de sa vie, lisant alors l'inévitable dans ses yeux. Son corps semble ne lui répondre qu'avec plusieurs secondes de latence, comme un mécanisme enraillé, rouillé par les larmes et désarticulé par les regrets insidieux.
Ses jambes deviennent lourdes, un peu plus à chaque nouvelle seconde, et ses bras se soulèvent avec beaucoup de peine quand il tangue légèrement vers sa droite.

Agité par l'urgence, Alaric met brutalement fin à l'appel avec Sacha, rendant machinalement son téléphone à Gabriel en tremblant.
La main encore humide d'avoir pleuré dedans, ses doigts effleurent vaguement ceux de son amant, et sa gorge sursaute d'un sanglot paniqué quand Gabriel le retient soudainement par le poignet.

– Attend ...

Le cœur battant au bout des doigts et la voix enrouée de désolation, Gabriel tente de le retenir en s'agrippant à lui, coinçant son bras dans sa paume et ses pupilles dans ses iris rougis par le sel.
Il ne peut pas le laisser partir comme ça, pas sans l'avoir supplié de revenir au plus vite, sans connaître ses intentions et sans savoir où cette décision les mènera.
Le feu de sa gorge retient les mots sous son larynx, et il doit avaler un peu de ses propres larmes pour soulager l'incendie et murmurer quelques adjurations près de son visage.

– Pars pas comme ça Aly, parle moi. Tu peux pas encore me laisser sans rien dire.

– Il faut que je lui parle en face Gab'.

– Je sais ! Mais après ?! Après, il se passe quoi Aly ?

Après, quand il faudra assumer le mensonge et porter la honte, quand il faudra mettre à jour les secrets sous les apparences et supporter les déchirures.
Après, que deviennent leurs vies ?

– Je sais pas ...

D'un geste désespéré, animé d'un pré-sentiment douloureux, il le tire légèrement vers lui avant d'arrimer ses mains à ses hanches.
Le serrant près de lui pour ce qui pourrait être la dernière fois, il relève le menton en plissant le front avec l'espoir de limiter la course de l'eau sur son visage.
Puis, sans concertation préalable, comme un instinct commun, leurs bouches se rencontrent férocement comme s'il s'agissait encore de la dernière fois.
A moins qu'il ne s'agisse réellement de la dernière fois ...

Ce baiser n'a rien d'élégant, sans une once de délicatesse, mais il trahit l'urgence et la peur. Le cœur pendu au bout des lèvres, prêt à mourir dès qu'il faudra s'éloigner des siennes, Gabriel respire profondément son odeur, s'imprégnant de lui comme d'une drogue vitale, avant de le regarder s'enfuir sur un tout dernier murmure.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant