Chapitre quarante-sept

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[L'amour a ses vandales, et j'en suis. J'ai le cœur boiteux.
Alexandre Jardin]

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Légèrement confut, alternant son regard sur sa droite et sa gauche, Alaric se sent soudain l'envie de se balancer d'un pied sur l'autre comme un enfant.
Bien qu'il n'en fasse rien, se retenant de gesticuler puérilement, il pince ses lèvres d'hésitation, demeurant ainsi muet comme une carpe depuis quelques secondes.
La petite rue, à peine fréquentée par une poignée d'âmes distraites, se révèle presque aussi silencieuse que lui, accentuant son sentiment de gêne profond.

A deux doigts de perdre les pédales, complètement déstabilisé par la question de Gabriel, il s'efforce de ne pas bloquer sa respiration.
Son stress soudain lui donne l'impression désagréable que le vent siffle d'impatience dans ses oreilles, le sommant de bien vouloir se dépêcher de se décider.
Comme si la totalité de son environnement venait de s'interrompre pour attendre sa réponse, même les bâtiments qui les entourent semblent rester en suspens, en équilibre sur une pierre.
La gorge nouée de doutes et le cœur prêt à dérailler, son corps ne bouge plus mais son esprit s'éparpille dans toutes les directions, emmêlant ses réflexions les unes dans les autres.
Ses idées s'embrouillent un peu et, comme pour indiquer à Gabriel qu'il est encore en vie malgré sa stature figée, il bouge légèrement ses doigts dans l'espace étroit entre ses phalanges.
Sentant sa paume se frotter un peu plus à la sienne, il frissonne de toute son âme alors qu'un fourmillement galope le long de son dos, jusqu'à atteindre ses cervicales.

Sa poitrine vibre un peu quand le frémissement explose comme un feu d'artifice dans sa nuque et, telle une onde de choc, l'oscillation se répand jusque dans son estomac.
Avec tout le courage que ça lui demande, il plante ses yeux dans le regard de Gabriel, plongeant dans ses pupilles pour s'y perdre un petit instant, espérant peut-être y trouver sa réponse.

Bien sûr, il crève d'envie de prendre à droite.
De s'approcher de l'appartement de Gabriel, et peut-être, finir par y entrer.
Et une fois là bas, s'accorder, avec lui, une conversation plus intime, des instants partagés dans le secret d'une pièce fermée.
Mais, quand bien même il en rêve, il ne veut surtout pas que ce dernier l'interprète comme une décision seulement intéressée par un hypothétique rapprochement physique.
Il ne voudrait pas qu'il pense qu'il n'attend rien de plus que de finir entre ses draps, et qu'il se précipite à droite pour aller combler une simple pulsion.
Il ne s'agit pas de ça, bien sûr, mais l'idée que Gabriel puisse le prendre ainsi l'inquiète énormément.

Alors, il lui faudrait choisir d'aller à gauche.
S'éloigner de chez Gabriel, et perdre l'opportunité d'une discussion plus discrète et intime.
Aussi, il pourrait alors croire qu'il ne veut pas venir chez lui, que ça ne l'intéresse pas et qu'il s'en fout un peu.

Finalement, il commence doucement à paniquer, ne sachant pas quoi répondre et, alors que le temps file et qu'il doit se dépêcher de faire un choix, son cœur s'accélère encore un peu plus, résonnant dans ses tempes.
Puis, quand Gabriel l'interroge du regard en plissant le front, il ouvre de force sa bouche pâteuse en tirant sur sa voix pour la faire sortir.
Ses idées indécises se disputent le passage de ses cordes vocales et, laissant presque la décision au hasard, il se lance sans même vraiment savoir ce qu'il va dire.

– A gau- droite.

Sa réponse maladroite le stress complètement, se demandant tout à coup s'il ne viendrait pas de passer pour un imbécile. Un sentiment d'incertitude et d'affolement lui secoue le ventre et dérègle le balancement de son diaphragme, brouillant sa respiration.
A deux doigts de se mettre à trembler comme une vieille cafetière surmenée, il tente d'intercepter la réaction de Gabriel en scrutant son visage.
Lui qui a toujours si facilement cerné les gens, se retrouve à avoir l'impression que le blond ne possède plus d'expression.
Il a beau se concentrer, il panique trop pour lire ses rictus et ses mimiques, incapable de dire s'il vient de sourire ou de grimacer.
Et, alors qu'il s'inquiète comme si sa vie en dépendait, Gabriel, lui, enserre un peu plus sa main dans la sienne pour lui intimer d'avancer à ses côtés.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant