Chapitre trente-huit

48 13 0
                                    

[L'alcool n'est pas une réponse, mais il permet d'oublier la question.
Sandrine Fillassier]

_______________

C'était relativement prévisible mais, après n'avoir rien mangé de la journée, l'alcool lui cogne sévèrement au crâne. A force d'enchaîner les consommations, entre deux déhanchés euphoriques, il a progressivement perdu toute notion du monde extérieur et, en avalant la dernière goutte de son septième verre, Alaric se sent littéralement flotter au dessus du sol.

Ses chevilles semblent avoir disparues, lui faisant perdre ses appuis et son équilibre, et il ne se rend plus vraiment compte de ses propres actions. Les oreilles gavées par la musique hurlante des baffles de l'établissement, désorienté et affaissé sur lui-même, il bat plusieurs fois des cils en regardant le décors tournoyer autour de lui.
Le coude appuyé sur le bar pour rester debout malgré tout, il plisse les paupières quand le jet coloré d'un stroboscope vient frapper ses pupilles déjà bien dilatées par l'ivresse et la semi pénombre.

Les gestes de ses mains se font de plus en plus incertains et maladroits, alors qu'il tente de reposer son verre sur le comptoir sans le faire tomber à côté. Les jambes cotonneuses et le crâne alourdi -ou bien est-ce sa nuque qui s'est ramollie- il balance la tête vers l'arrière en fermant les yeux, emportant finalement tout son corps dans le mouvement.
Perdant totalement l'équilibre, incapable de se rattraper lui-même, il sent toutefois la poigne de Sinane, autour de son coude, qui vient de l'intercepter à la volée pour l'empêcher de tomber à la renverse au milieu des danseurs.
Se redressant comme il peut, prenant appui sur l'épaule de son ami après plusieurs pas chaotiques, il éclate d'un rire maladroit en s'agrippant à son bras.
Son environnement lui échappe totalement, oubliant la foule qui l'entoure et, en tanguant sur lui-même, il vient parler -bafouiller- près de l'oreille de Sinane.

– J'ai chauuuuud.

A vrai dire, Sinane n'en mène pas beaucoup plus large que lui, pas loin de rejoindre le taux d'alcoolémie de son ami, alors qu'il bascule légèrement sur sa droite en titubant. Puis, passant son bras dans le dos d'Alaric pour l'entraîner vers la piste centrale, il s'écrie à travers la musique.

– Moi aussi.

A défaut d'être encore capable de marcher droit, zigzaguant comme deux pochtrons dans la foule éméchée, ils s'appuient mutuellement l'un sur l'autre pour avancer jusqu'à une zone à peu près dégagée. Prenant place entre deux petits groupes démarqués, se lançant dans ce qui est supposée être une chorégraphie, ils se laissent juste porter par l'ambiance et la musique.
Sans pouvoir identifier la chanson qui hurle à leurs oreilles, ils se contentent de percevoir les vibrations sonores qui font trembler l'intérieur de leurs poitrines à un rythme régulier.

L'alcool perturbant l'équilibre de son oreille interne, Alaric bascule aléatoirement à droite et à gauche, se rattrapant comme il peut aux avant bras de son ami qui, parfois, l'accompagne dans sa dérive.
En dessous de lui, le sol ondule, se déforme, tourne à une vitesse vertigineuse, et le décor, flou, se dédouble par moment alors que l'ivresse accélère les battements de son cœur.
Le foie comme une éponge imbibée et l'estomac plein à ras bord de liquide, il n'entend même plus ses propres pensées, qui lui échappent complètement.

La transpiration coule abondamment à son front en même temps que ses mains deviennent de plus en plus moites, et le tissu de sa chemise vient se coller à sa peau.
Calquant les reliefs humides de son torse et de ses abdominaux, le tissu le gêne subitement dans ses mouvements, et il entreprend de tirer sur les boutons sans regarder ce qu'il fait. Forçant sur les coutures, en endommageant quelques unes au passage, il parvient à défaire toutes les attaches pour révéler son buste aux yeux de tous sans se poser plus de questions.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant