Chapitre quarante-six

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[L'amour n'est ni raisonnable, ni raisonné. C'est une évidence, une intuition.
Anne Bernard.]

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Peut-être pour l'occasion, le ciel a décidé, aujourd'hui, de se montrer relativement clément. Malgré quelques nuages épars, le soleil leur fait l'honneur de sa présence en ce début d'après midi, et les températures, sans être excessives, font doucement monter le mercure aux alentours des vingt degrés.

Il fait beau.

Une brise plutôt légère souffle un brin de fraîcheur entre les bâtiments inanimés et Gabriel, en sortant de son immeuble, sent le vent secouer discrètement ses cheveux, parfaitement coiffés pour l'occasion. En prenant une large inspiration avant de faire un premier pas sur le trottoir, il vérifie une dernière fois qu'il ne lui manque rien.
A travers le tissu de son jean, il tâte ses clés, son porte feuille et son paquet de cigarettes.
Puis, avec ses deux mains légèrement tendues, il réajuste le pan de son haut sombre.

A sa mémoire, il ne s'était jamais autant appliqué à soigner son allure.
Pourtant, ce matin, il a passé pas loin d'une heure entière à se préparer, à se scruter dans le miroir et à arranger les mèches indisciplinées de ses cheveux. A croire qu'il se rend au rendez vous de sa vie, il prête même attention à sa posture, à sa démarche, et à l'expression de son visage.

A moins qu'il ne se rende effectivement au rendez vous de sa vie.

A vrai dire, il n'a fait qu'y penser toute la nuit et, après le départ de Yohann, il n'a finalement jamais fermé l'œil.
Nerveux et agité par la perspective de cette rencontre avec Alaric, entrecoupé par quelques éclats de culpabilité en repensant à Yohann, qui s'est tiré en pleine nuit après leur discussion qui l'a très certainement blessé, il a tergiversé dans ses draps jusqu'au lever du soleil.
Essayant d'imaginer la conversation qu'ils vont avoir ensemble, de préparer des phrases qui lui semblaient toutes fausses ou insuffisantes, son esprit ne s'est pas arrêté de mouliner un seul instant.
Aussi, il s'est dessiné le visage d'Aly, son sourire, ses yeux.
Son regard aussi, beaucoup.
Les contours qu'il n'a pas oubliés de sa mâchoire, et la courbe de sa bouche également, et il a rêvé, éveillé, de ses mains.
Il le sait, ils ont énormément de choses à se dire, de regrets et de rancœurs à étaler sur la table du café, et de confessions à se faire.
Des excuses aussi, à se donner, et des sentiments, à se partager.
Des centaines, des milliers sûrement.
Une infinité.

Alors, peut-être, oui, Gabriel a rendez vous avec sa vie.

Sur le trottoir, traçant les derniers mètres qui le séparent de l'établissement qu'il a choisi, il s'efforce de garder le menton droit malgré une irrépressible envie de regarder ses pieds.
Il se sent tellement nerveux qu'il a l'impression que c'est inscrit sur son front et que les quelques passants qu'il croise sur son chemin le dévisagent. Le cœur pulsant au fond de son ventre vide, faute d'avoir pu avaler quoi que ce soit à cause de la boule de stress qui gave son estomac, il ressent ses battements jusque sous ses côtes.
Le trac, en somme.

Puis, en se postant près de la devanture recherchée, il souffle lentement et posément, autant que faire se peut tout du moins, et surveille l'heure sur son téléphone.
Il sait qu'Aly n'est certainement pas encore arrivé, pour cause, il est en avance.
De quinze bonnes minutes qui plus est, mais c'était plus fort que lui.
Alors, pour se donner un air à peu près décontracté, appuyant son dos contre une façade voisine, il s'allume une cigarette et ouvre un réseau social au hasard.
Il n'y a rien à y voir d'intéressant, pas plus que d'habitude, et il ne prête même pas attention aux images qui défilent sur son écran, mais il se rassure comme il peut à travers son portable.
Un peu de fumée entre dans son champs de vision quand il souffle distraitement le mélange nocif de goudron et d'acétone, et quand le bruissement de quelques pas discrets s'approche de lui, il relève les yeux.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant