Chapitre quarante-huit

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[Tu es mon obsession, c'est ta voix, tes mains, tes yeux, ton corps, ta peau, ta façon de parler, ton rire, ton odeur, tes gestes [...]
Lettre de Edith Piaf]

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Le coccyx contre le rebord de la fenêtre, la main dans le vide pour laisser s'échapper sa fumée, et le visage tourné vers Alaric, Gabriel entend ses mots à travers l'écho bruyant des battements de son cœur dans ses tympans.
Ses pulsations cardiaques sont si féroces qu'elles résonnent partout dans son corps, au point de secouer sa respiration devenue instable.

C'est que cette déclaration le rend fou et nerveux.

Pendu à ses lèvres, il l'écoute lui rappeler les événements du début de leur relation, précisant régulièrement ses sentiments et demandant pardon à travers ses regrets. A vrai dire, il ne s'attendait pas à le voir lui parler autant et être aussi sincère, et tout à coup, sa gorge tremble.
Son regard navigue de sa bouche à ses pupilles, alors qu'Alaric ne le lâche pas des yeux, et toute l'eau de son organisme semble entrer en ébullition, augmentant sa température corporelle de quelques degrés.

Ses phalanges se resserrent instinctivement autour de sa cigarette quand Aly conclut son discours en lui rappelant qu'il l'aime, et sa main tressaute quand le filtre lui brûle les doigts, prenant conscience que sa clope s'est consumée toute seule.
Sans vraiment regarder ce qu'il fait, il tend le bras pour l'écraser dans le cendrier, faisant légèrement tanguer celui-ci, avant qu'Alaric ne le maintienne en place pour l'empêcher de tomber complètement.
Puis, après un petit instant d'inactivité totale, les yeux rivés dans les siens, il ouvre la bouche pour mieux respirer.
L'air lui fait défaut, et il doit réellement faire un effort de concentration pour maintenir son souffle en place, au risque de se retrouver en apnée.
Ses paroles tournent encore dans sa tête, comme une mélodie qui se répète en boucle, et le flot déjà intense de ses émotions entre maintenant en fusion.

Il doit répondre quelque chose, mais ses pensées se brouillent et s'entortillent sans qu'aucune ne sorte du lot plus que les autres.
Il y a tant de choses qu'il veut lui dire, lui rétorquer, mais il peine à mettre de l'ordre dans ses idées, dans ses priorités, dans ses sentiments. Pourtant, il demeure silencieux depuis plusieurs dizaines de secondes et, alors que le visage d'Alaric prend des allures inquiètes face à son mutisme, ce dernier finit par détourner subitement le regard, éteignant à son tour sa cigarette.

Paraissant soudain très mal à l'aise, Alaric promène ses yeux un peu partout sur le décor sans jamais s'attarder nul part, et ses épaules paraissent complètement raides, contractées à leur maximum.
Puis, essayant de ne pas faire trop durer ce moment de gêne, Gabriel prend une large inspiration, s'apprêtant à dire quelque chose, avant de finalement bloquer sa voix au dernier moment, ne laissant échapper qu'un son court et étouffé.
Parce que toutes ses idées se piègent les unes les autres, il a trop de choses à dire mais ne sait pas par où commencer.

Et, alors qu'il voit Alaric se pincer les lèvres, semblant sur le point de capituler et de s'éloigner de la fenêtre, un sentiment d'urgence s'empare soudain de lui.
Comme un réflexe, il pivote contre la fenêtre, décollant son coccyx pour y appuyer son bassin et mieux faire face à Aly.
Le cœur dans tous ses états, les bras agités et la trachée en feu, il ferme les yeux une seconde pour tenter de mettre de l'ordre dans sa tête. Se repassant encore une fois la déclaration d'Alaric pour ne rien oublier, il s'efforce de répondre le plus clairement possible.

– Je sais ce que Sacha représentait pour toi. Et les autres aussi. Que tu voulais pas les perdre tous, en particulier Sacha. Je savais ça, et je savais ce que ça impliquait pour nous, j'aurais peut-être dû m'y attendre, m'y préparer en tout cas. Mais j'espérais que ce serait pas si radical.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant