Chapitre cinq

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[Quand on a quelque chose de difficile à faire dire à un personnage, surtout le faire boire.
Ernest Hemingway ]

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Parait qu'il faut qu'on parle, toi et moi.

Raide comme un passe lacet, il sent le souffle d'Aly se perdre contre sa tempe alors qu'il parle si près de son oreille qu'il pourrait presque lui embrasser la joue.
Sa voix résonne à son tympan, mélangée aux vibrations de la musique, et Gabriel tourne brutalement la tête vers lui, sentant ses vertèbres grincer et se frotter entre elles à l'intérieur de sa nuque.
Qu'est-ce qu'il lui prend tout à coup à l'autre, à venir l'interpeller comme ça sans prévenir ?

Contrarié par son apparition soudaine dans son dos, et sa manière de s'accrocher à son épaule comme deux bons potes, il fronce durement les sourcils en butant son regard au fond du siens, toujours sans lui avoir répondu quoi que ce soit.

Les éclats lumineux de la salle coulent sur le visage d'Aly, et les spectres de plusieurs stroboscopes révèlent de nouvelles nuances à ses iris, que Gabriel remarque pour la première fois à travers la semi pénombre, découvrant dans toute sa magnificence la profondeur de son regard.
Aux abords de ses pupilles, il croit même distinguer des reflets d'absinthe et, en plissant les yeux, il aperçoit la naissance des premières tâches de rousseur sous ses paupières, plus pâles et plus discrètes que celles de ses joues.

Néanmoins, prenant rapidement l'ampleur de leur proximité, il s'éloigne de lui en se décalant d'un pas sur la gauche, pivotant ensuite sur lui-même pour lui faire face, instaurant au passage une distance raisonnable entre eux.

Sérieusement, qu'est-ce qu'il lui veut ?!

Il voulait juste aller se chercher à boire lui, sa gorge est asséchée par la chaleur, la brûlure désagréable de ses yeux fatigués l'incommode et l'alcool lui monte progressivement au crâne, secouant ses pensées désordonnées alors qu'il élève au maximum la voix pour se faire entendre à travers la musique.

– Qu'est-ce que tu me veux ?

Plissant les paupières pour se concentrer à lire sur ses lèvres, Aly fait un pas vers lui avant de se couper dans sa lancée, détournant son regard sur la droite, là où deux ivrognes semblent en train de se battre.
Ou tout du moins ils essaient, aussi saouls l'un que l'autre, les deux types tiennent à peine sur leurs jambes et frappent dans le vide une fois sur deux.

Cherchant quand même à éviter de prendre un coup perdu dans la mêlée aux allures ridicules, ils s'éloignent tous les deux que quelques pas, se frayant un chemin entre les danseurs jusqu'à s'arrêter dans une zone à peu près sécurisée.
Désormais côte à côte et toujours silencieux, Gabriel en profite pour balayer son regard autour de lui, constatant que son groupe d'ami n'est pas dans les parages.

En y réfléchissant, la banquette sur laquelle il se trouvait, et à fortiori le coin de piste où ses camarades se déchaînaient, est à l'autre bout de la boîte.
A la réflexion, il se rend compte qu'Aly n'a simplement pas pu lui tomber dessus par hasard ici, et qu'il l'a très probablement suivi dès l'instant où il s'est levé pour rejoindre le bar.
Au moins autant contrarié qu'intrigué par cette déduction, il lui jette un œillade discrète, espérant sans grande conviction deviner ses intentions à travers son profil.
C'est vrai que Sacha leur a demandé de faire un effort pour elle et d'apprendre à se connaître un peu, mais il y avait sans doute d'autre moyens de faire ça, sans le prendre à part loin des autres.

Non vraiment, il lui prend quoi ?!

Se décalant un peu pour revenir vers lui, Aly cogne son épaule contre la sienne pour parler près son oreille, cherchant à se faire entendre malgré les vibrations sonores un peu trop puissantes.

Son meilleur amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant