Chef ! Oui chef !

Chapitre 42

Li Ming-Hwa

Il est parti sans un mot, sans un regard et je n'ai pas eu le temps ni le cran de lui dire.

C'est comme si d'un coup j'avais cessé d'exister à ses yeux. Et ça fait mal. Je commence à lui courir après mais mes amies me rattrapent :

-Min-Min arrête, tu vas faire un malaise calme toi !

Je suis survoltée, mon cœur bat à tout rompre et j'ai l'impression qu'il va se décrocher de ma poitrine. C'est comme si notre relation était maudite. On enchaîne les opportunités ratées et aucun de nous n'a le courage de regarder l'autre dans les yeux pour simplement lui dire qu'il l'aime.

Alors je me fais la promesse que la prochaine fois que je le vois mes premiers mots seront ceux-là.

Mes amies m'entraînent vers la terrasse de café la plus proche. On dirait qu'elles ont peur que j'accouche sur place. Seulement le problème n'est pas mon ventre, mais mon cœur.

Elles sont aux petits soins mais je ne les écoute pas.

Et je le vois, il regarde partout, on dirait qu'il cherche quelque chose. Ou quelqu'un.

Je me lève et j'avance vers lui tout en l'appelant, ma voix résonne si fort que les gens aux alentours me regardent avec surprise.

-Si-Jin !

Il se retourne et me regarde d'une manière que je n'arrive pas à comprendre, que je n'ose interpréter.

Alors tant qu'il n'est pas trop proche tant qu'il ne peut pas me faire taire je lui dis ce que j'ai sur le cœur :

-Je t'aime ! Je t'aime tant Si-Jin, je t'ai aimé depuis que je t'ai rencontré ! Je t'ai aimé même quand je voulais tellement t'oublier et quand j'ai essayé de te détester. Je t'aime tellement que ça me fait peur...

Il est maintenant à côté de moi.

-N'ai pas peur, tu n'as plus de raison d'avoir peur.

-J'aurais dû te le dire bien plus tôt mais je ne voulais pas que tu te sentes obligé de mettre ton métier entre parenthèses ni que tu t'en veuilles si tu avais choisi de continuer. Et je ne le veut toujours pas.

-C'est sans importance tout ça... L'armée je veux dire. Je me demande comment j'ai pu choisir de faire passer mon métier avant toi, avant nous. Si seulement j'avais pris les bonnes décisions aux bons moments. C'est pour ça que je suis venu aujourd'hui je voulais te dire que je ne partais plus, que je ne serai plus absent, que je n'aurais plus à garder secret ce que je fais au travail. Après cette nuit là les choses sont devenues évidentes et j'ai changé de métier. Je veux pouvoir me coucher près de toi tous les soirs et me réveiller à tes côtés chaque matin. Je veux être là pour toi, que tu puisses compter sur moi. J'étais près à gâcher ton mariage, je venais te demander de me choisir moi.

-Ce n'est pas un choix, Si-Jin, ça a toujours été toi. C'est toi depuis le début !

Il attrape mon visage entre ses grandes mains et comme au ralenti je le vois se rapprocher, ses yeux brillent et j'ai l'impression de voir le Si-Jin de vingt-trois ans qui me regardait comme si j'étais une pierre précieuse. Je m'accroche à sa veste de peur de le voir s'éloigner de nouveau.

Il m'embrasse avec passion et douceur, lorsque le goût salé de mes larmes se mêle à notre baiser il s'arrête.

-Pour la dernière fois je te demande pardon pour tout, je suis désolé que tu ais eu à vivre tout ça et à attendre notre enfant toute seule. Mais c'est la dernière fois que je m'excuse. Car je ne ferais plus jamais rien qui te causera de la peine. Tu ne seras plus jamais seule.

Il essuie une larme de son pouce.

-Merci de m'aimer avec tant de patience et de force, merci d'être la femme de ma vie, merci pour cet enfant, merci pour tellement de choses. Si tu savais comme je t'aime Mina, sans toi la vie n'a aucun sens.

***

Si notre histoire était un film, à ce moment précis il y aurait un plan large qui s'éloignerait de nos deux silhouettes fondues l'une dans l'autre dans un ultime baiser, au milieu de la rue, entourés d'inconnus. Laissant ouverte une perspective de vie heureuse et sans nuage. Mais si ma vie était un film ce serait une comédie musicale et cette foule d'inconnus serait en train de danser autour de nous. Et je finirai par un porté magistral et ce malgré mon profil de baleine, parce que dans les films ce genre de choses est possible.

Mais notre histoire n'est pas un film. En réalité Si-Jin et moi sommes rentrés chez lui. On a beaucoup parlé, on s'est beaucoup embrassés et on a aussi fait l'amour (bah oui même les baleines ont une libido). Ensuite dans les semaines qui ont suivi ont a réarrangé nos vies pour pouvoir vivre ensemble tout en préparant l'arrivée imminente du bébé.

Surprise : c'est un garçon ! Il est aussi beau que son père. La vie a deux on n'a pas beaucoup connu mais la vie à trois ça nous a plongé direct dans le grand bain ! On ne va pas se mentir, ce n'est pas tous les jours faciles. Un enfant c'est du boulot et comme on est un peu fous on en a même fait deux autres, deux adorables petites filles (adorables c'est rétrospectivement, au quotidien il y avait des jours où je les aurais bien emplâtrés tous les trois, malgré tout l'amour que j'ai pour eux !).

Alors oui il y a eu des disputes (et à chaque fois mon cœur se serrait et j'avais l'impression que c'était la fin du monde alors que pour Si-Jin ce n'était qu'un petit rien dans la longue vie familiale qu'on construisait). On était crevé par les enfants, on ne se comprenait pas, mais toujours on s'aimait.

Il y a eu des périodes où on n'était pas en phase, des périodes de jachère sexuelle et des périodes de lunes de miel (bien plus nombreuses ces dernières !).

Du fait de notre histoire à aucun moment on n'a pensé que l'autre n'était pas celui qu'il nous fallait mais il faut dire que ça nous a pris six ans pour se rejoindre.

On a connu des galères matérielles et des inquiétudes quant à l'éducation et l'avenir de nos enfants.

Je remercie nos bonnes étoiles de nous avoir épargné les soucis de santé.

Enfin bref voilà on a eu une vie de couple classique avec ses hauts et ses bas et on a toujours été là l'un pour l'autre. Je suis aujourd'hui vieille, j'ai quatre petits-enfants qui sont grands maintenant et qui bientôt auront leurs propres enfants, c'est vous dire ! Quand je regarde en arrière malgré tout ces tumultes je ne changerai rien à ma vie car elle m'a mené à tout ça.

                                         ***** FIN *****