(Notes de début: prêt à rencontrer Nimh ?)
Elizabeth.
Je peins. Depuis petite. Mais, aujourd'hui, c'est différent. Je peins pour la première fois depuis des mois quelque chose de coloré. Il faut croire que Jason ne m'a pas laissée intacte. Mes toiles en ont souffert elles-aussi. On pourrait penser qu'en partant, il a emporté avec lui les couleurs vives qui caractérisaient mes tableaux auparavant.
Cela va bientôt faire un an que c'est fini. Un an, c'est quoi dans une vie ? Trois cent soixante-cinq jours. Presque cinquante-trois semaines. Et je n'ose même pas compter ce que cela représente en heures. Si peu et tellement trop.
Trop, quand depuis tout ce temps, tu ne passes pas une journée sans déprimer. Bien loin de la jeune femme qui ne passait son temps qu'à rabrouer les hommes qui l'approchaient.
Que dire de plus sur cette année ? Je ne me suis jamais sentie aussi seule et en même temps aussi entourée. Les vernissages, les entretiens, les interviews ; en un an, j'ai vu plus de visages qu'en vingt-et-un ans d'existence. Sur le moment, ces gens m'ont apporté un peu de réconfort, mais jamais personne ne s'est demandé si j'allais vraiment bien. Mes faux sourires devant leurs caméras ont comblé leurs attentes, et ce n'était pas leur travail d'aller chercher plus loin, alors ils ne l'ont pas fait. Quelque part ça m'a toujours soulagée.
De toute façon, j'ai moi-même décidé de ne plus retenir les gens, tous... sauf Jason. Malgré tout ce qu'il s'est passé, s'il venait s'excuser, je jurerais qu'il n'aurait pas besoin d'autant me supplier de l'embrasser que le premier soir.
Je trace un arc de cercle brun avec mon pinceau. Depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, je m'exprime par les arts. Les mots sont bien plus durs à manier qu'ils n'y paraissent. Je peins mes chagrins, mes angoisses, mes joies. Bien que cette fois, je ne célèbre rien – si ce n'est le fait d'être en vie, et c'est déjà pas mal – qui ne vaille la peine de troquer les tons pâles qui plaisent tant.
Ce qui est sûr, c'est que le public adore. Je commence même à me faire un nom dans le milieu. C'est monotone et surtout, c'est sincère. Ma toile d'aujourd'hui, elle, est pleine de mensonges, pleine de secrets.
Elle représente bien mieux la personne que j'ai été ces derniers mois : une jeune femme perdue, avec des pensées en bataille. En prime, un succès grandissant qu'elle ne comprend pas et remet sans cesse en question.
J'interromps le fil de mes pensées, de la peinture a coulé sur ma blouse. Je peste. Je vais encore devoir la nettoyer, pour la troisième fois cette semaine.
À vrai dire, j'ai la tête ailleurs : demain, je m'envole loin de tout ça. Ma meilleure amie, Nimh, rentre dans la journée d'Australie. Aussi longtemps que je ne l'ai pas vu que je pleure la perte de Jason.
Comble du malheur, le destin a voulu que ma première exposition à l'étranger ait lieu à Oslo dans trois jours. Il m'est donc impossible d'échapper à notre traditionnel Noël en Norvège. Youpi ! Tu parles, je n'ai aucune envie de remettre un seul pied dans cet enfer déguisé.
Là où j'ai rencontré Jason. Là où tout a basculé. Là où j'ai cru donner un sens à ma minable existence.
Bien qu'il n'y ait que très peu de chance que je le croise, mon cœur espère le revoir au fond. De pouvoir lui poser ces milles questions qui me hantent.
Je m'avance vers l'évier, traversant l'espace que j'ai aménagé pour la peinture dans mon petit appartement parisien. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, chaque chose est à sa place et est minutieusement organisée. Je déteste le bazar. Il me rappelle celui dans ma tête. Alors tant que j'en ai la force, je garde cette pièce parfaite.
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Nos âmes enneigées
Romance2 ans qu'ils s'étaient embrassés pour la première fois. Ça devait être une bonne année, c'est ce qu'ils s'étaient souhaités. 1 an qu'il l'a quitté. 1 an qu'elle se promène au bord de la falaise. Elizabeth est peintre. Alors que sa carrière bat de...