->Chapitre 6.2<-

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Jack

Je ne réalise toujours pas que Bennie sera face à moi dans moins d'une heure. J'ai bien essayé d'y échapper, suppliant ma mère de me garder avec elle encore une semaine et même de prétendre que Mamie devait encore me faire goûter quelques recettes mais je n'ai fait que récolter un regard noir. J'adore ma mère, je le jure. Mais qu'est-ce qu'elle peut être bornée !

J'ai passé l'entièreté de mon voyage jusqu'à Paris à ruminer et à me maudire sous toutes les étoiles. Mes nerfs étaient tellement à fleur de peau que je m'énervais sur n'importe quel automobiliste trop lent à mon goût.

Lorsque Zoey, Enio et Ben ont pris place avec moi dans la voiture, j'ai bien dû me calmer un peu. Ils ont fait de leur mieux pour me remonter le moral et me changer les idées en me racontant tout ce que j'avais raté en Oregon durant mes deux semaines en France. J'ai vu aux regards des gars que l'envie de me parler de tout ce que je ne dis pas ne leur manquait pas. Je me dois de les remercier pour n'avoir rien dit devant Zoey malgré ça.

Nous avons fait un arrêt sur une aire d'autoroute. Certains se sont jeter sur les toilettes, d'autres sur les rayons de l'épicerie en répétant tout bas « Faites qu'ils aient des Snickers... FAITES QU'ILS AIENT DES SNICKERS ! » De qui il s'agit, on se le demande bien...

C'est à ce moment que la décision est prise de finir le trajet avec une voiture pour les filles (celle de Camille, que nous avons récupéré à l'aéroport), et une autre pour les garçons (la mienne, qui est en réalité celle de ma mère). Ainsi donc, mes meilleurs amis vont enfin avoir la conversation qu'ils veulent avec moi depuis plusieurs semaines. Oui, je suis assez doué pour échapper aux conversations lorsque celles-ci ne m'enchantent guère.

Mais là, je n'ai plus le choix.

Cheveux Rouges, qui est l'auteur de cette merveilleuse idée, m'a lancé un regard plein de... compassion ? Non, impossible. Je dois certainement me faire des illusions.

-En route direction Angers ! s'exclame Tommy dans le siège du milieu de la banquette arrière.

Je m'arrête dans mon mouvement et fronce les sourcils. Dans le rétro intérieur, je peux voir que tous le regarde avec cette même incompréhension qu'est la mienne.

-Tu sais que ça fait plus de deux heures qu'on est « en route direction Angers » ? lâche Enio.

Tommy, n'osant répondre, nous offre un sourcil désolé (et un peu crétin). Je roule des yeux et démarre le moteur. Quelques instants plus tard, nous suivons à la trace la voiture de Cheveux Rouges devant nous sur l'autoroute. Le silence règne dans notre habitacle ; je peux facilement deviner qu'ils hésitent à mettre le sujet sur le tapis ou, du moins, ne savent pas comment s'y prendre correctement.

A moins qu'ils fassent un pierre-feuille-ciseau silencieux pour désigner celui qui sera jeté dans la fosses aux lions. Les lions c'est moi. Je suis les lions.

-Jack, peut-on parler de-

-Moi et Bennie ? coupais-je Ben.

Je le vois lancer un regard de détresse aux autres dans le rétroviseur mais Enio ne laisse le temps de répondre à personne pour me corriger.

-Non. De toi. Seulement de toi. On t'a laissé tranquille pendant des mois, pensant que tu réaliserais de toi-même qu'il est temps que tu tournes la page de ton passé, mais tu ne l'as pas fait. Tu continues de croire qu'il te suit, jours après jours, années après années... Mais c'est faux ! Tu as fait tout ce que la loi demandait pour te racheter, ta famille t'a pardonné, nous t'avons pardonné. Il est grand temps que tu te pardonnes à toi-même.

Je ne trouve rien à redire. Ses paroles me transpercent l'âme bien plus qu'elles ne le font lorsque c'est moi qui me les dit. Mes yeux restent fixés sur la route par peur de croiser un de leur regard qui me ferait réaliser à quel point je fais du mal à tout le monde en ruminant mon passé comme je le fais.

-Enio a entièrement raison, appuie Avi après quelques secondes qui me paraissent des minutes. On veut tous tourner la page, on ne demande que ça. Regarde-toi ! A force de ressasser cette histoire, tu as perdu Bennie. Et n'essaie pas de me dire que c'est la distance qui vous a séparé, on sait tous que c'est faux ! précise-t-il lorsqu'il me voit sur le point de répliquer.

Je referme la bouche, sachant pertinemment que tout ce que je trouverais à dire sonnerait faux. Parce que c'est faux.

-Okay, t'as fait des conneries. Okay, t'as un casier judiciaire. Et okay, t'es pas passé loin de la détention juvénile. Mais ça ne te définit pas ! Tu crois sérieusement que Bennie en a quelque chose à foutre de toute cette putain d'histoire qui date de plus de trois ans maintenant ? dit Ben avec un calme surprenant lorsqu'on note le nombre de grossièretés qu'il vient d'utiliser.

-Et toi, t'en a quelque chose à « foutre » que je t'enterre vivant ? le reprend Avi, la mâchoire contractée.

-Vous avez raison, assénais-je pour couper court à la dispute qui menace d'éclater. Je dois passer à autre chose, tourner la page. Mais comment ? Même si je le voulais, je ne pourrais pas oublier ce que j'ai fait, ni la trouille que j'ai eu lorsqu'ils m'ont passé le bracelet électronique. Et je ne peux m'empêcher d'imaginer ce qu'il se serait passé si vous n'aviez pas été là, le jour de mes 18 ans. Mais merde putain les gars ! Je vous ai fait passer une nuit en taule ! m'emportais-je.

Au fond de moi, je sais que ce serait bien plus simple s'ils m'en voulaient encore. J'aurais une bonne raison de m'en vouloir aussi. Pourtant, malgré la gravité de la chose, aucun d'entre eux ne semble rancunier à mon égard.

-Jack, si c'était à refaire, alors je passerais encore une fois cette nuit en taule, répond Enio.

-C'était une expérience... intéressante je dirais, rajoute Tommy.

-Dit celui qui s'est pissé dessus ! souligne Ben.

A ce souvenir, le benjamin de la troupe s'empourpre. Je finis par me laisser rire avec les autres et, comme si rire avait des propriétés magiques, un poids se retire de mes épaules.

-Merci les gars, dis-je enfin avec un léger sourire. Alors... Vous pensez que je devrais tout raconter à Bennie ?

-Non seulement tu devrais lui raconter cette histoire, mais tu devrais aussi et surtout lui dire que tu es encore fou amoureux d'elle et que tu regrettes d'avoir été un trouillard, dit Avi.

-Quoi ? Mais je ne suis pas « amoureux » ! niais-je aussitôt.

La vérité, c'est que ces mois sans elle m'ont bel et bien permis de me rendre compte que je l'aime. Comme un fou. Si ce n'est pas avec elle que je passe le reste de ma vie, alors je ne le passerai avec personne. Cela étant dit, je ne suis pas prêt à l'avouer de vive voix.

-Peut-on se mentir à soi-même ? Vous avez trois heures, se moque mon meilleur ami avec sa plus belle ironie.

-Ou seulement quelques minutes, corrige Enio en pointant la voiture devant nous.

Clignotant à droite, Cheveux Rouges ralenti et prend la sortie de l'autoroute. Tout à coup, ma cage thoracique se sert.

C'est réel.

C'est bien réel.

D'ici peu, je serais face à elle.

Et elle sera face à moi.

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