Destinés à patienter

->Chapitre 6.3<-

Bennie

« Salut tout le monde ! »

C'est la troisième fois en moins de dix minutes que cette entrée en matière par la voix enjouée des RFE&H résonne dans ma chambre. Je connais cette vidéo comme ma poche maintenant. Je sais que Tommy prononcera la prochaine phrase...

« Nous sommes les RFE&H et nous avons une annonce à faire. »

...et sera suivi par Enio et son petit coup de pub.

« Avant ça, et pour vous laisser le temps d'arriver sur le live, nous tenions à tous vous remercier pour votre soutien et les supers retours que nous avons eu sur 'til The End. De nouvelles chansons arrivent bientôt et nous espérons qu'elles vous plairont tout autant. En attendant, 'til The End est disponible partout alors écoutez-la si ce n'est pas déjà fait ! »

Puis Ben relancera l'idée principale.

« Et maintenant, place à la grand nouvelle ! Enio, roulement de tambour ! »

Ce dernier sort ses baguettes de batterie de sa poche arrière et exécute le roulement sur le mur derrière eux avant de s'arrêter brusquement en pointant une des baguettes vers le locuteur du moment pour enfin lâcher le morceau.

« Nous repartons en tournée des Etats-Unis ! »

Le groupe pousse des cris de joie, se sautent les uns sur les autres et hurlent à nouveau leur joie lorsque le bouchon de la bouteille de champagne saute à son tour.

C'est alors que, dans tout ce brouhaha, l'un des cinq garçons bientôt à nouveau sur les routes des Etats-Unis s'approche de la caméra. Ses boucles, nullement disciplinées, lui tombent sur le front. L'envie de les mettre vers l'arrière me brûle tout entière et je ne peux que m'en vouloir de ressentir encore cela pour lui.

Jack hausse la voix pour se faire entendre par-dessus les pitreries de ces amis. Encore une fois, je regrette de ne plus pouvoir l'entendre chaque matin.

« Toutes les dates de concert seront mises sur notre prochaine publication ainsi qu'un lien pour commencer à réserver vos places ! Hâte de vous revoir tous et pas d'inquiétude pour nos fans internationaux, on ne vous oublie pas ! »

Il signe sa tirade par son fameux clin d'œil charmeur qui failli faire bondir mon cœur hors de ma poitrine à nouveau. La vidéo touche à sa fin et je dois me faire violence pour ne pas revenir au début pour la quatrième fois d'affilée.

En temps normal, je ne traine pas sur leurs vidéos à eux. J'ai pris sur moi lorsque Cam, Lydie et Enio m'ont suppliée d'écouter 'til The End pour que ce dernier puisse au moins avoir un retour de ma part (il semblerait qu'en tant que confidente, ce soit mon devoir). Tout ça pour dire que je n'avais pas d'intérêt à regarder cette vidéo.

Mais c'était sans compter sur Cam qui a mis le lien dans notre conversation de groupe avec Lydie en précisant : « C'EST MOI QUI AI FILMEEEEEEEE ». J'aurai été une piètre meilleure amie si je n'avais pas regardé la vidéo ensuite.

Et puis, au fil des semaines, elle est devenue comme un repère, une bouée.

Je sais, rien de tout ceci n'est sain pour moi. Mais qu'est-ce que j'y peux ? J'ai tout essayer pour l'oublier et rien n'a fonctionné. J'ai honte et je ne saurai exprimer à quel point je me sens minable d'être encore aussi attachée à celui qui n'a pas hésité à me jeter. Il n'a même pas tenté de réparer les choses, il a juste... abandonné.

Ça fait mal, mais c'est la vérité.

Alors pourquoi je suis toujours dans cet état six mois après ?

Quand Camille nous a présenté l'idée de tous nous retrouver en France, ici, à Angers, j'ai accepté dans la seconde. Pas parce que j'étais désespérée au point de vouloir revoir Jack, mais parce que je voulais pouvoir discuter avec Enio de vive voix et non à travers un téléphone.

Enio sait tout sur mes sentiments, sur ce que je ressens pour Jack malgré toute cette histoire. Il sait tout, à part peut-être ma nouvelle dépendance à cette vidéo. Je n'ai pas osé lui dire. Je le connais assez maintenant pour savoir qu'il serait capable de me supprimer mon téléphone. Ou plutôt de me le faire confisquer en contactant ma mère. Pourquoi lui avais-je donner son numéro déjà ? Ah oui, pour des snickers.

Des fois, je me demande si ça valait vraiment le coup.

Le message de Camille indiquant qu'ils ont quitté l'air d'autoroute date d'une demi-heure maintenant. Je sens mon cœur qui, inconsciemment, a déjà commencé à battre à vive allure.

Quand j'ai pris conscience de ce dans quoi je m'étais embarquée en acceptant ces retrouvailles, j'ai imaginé un plan de secours : me faire porter malade, ou simplement avouer que je ne suis pas prête à revoir Jack et demander à ce que nous ne nous croisions pas. Et puis j'ai réalisé à quel point cela pouvait paraitre égoïste : vouloir mes amis seulement pour moi en excluant Jack ? Quelle cruauté !

Je me suis donc faite à l'idée de le revoir et même d'être de bonne humeur pour ne déranger personne. Après tout, cette semaine est faite pour s'amuser.

La sonnette de chez moi retentit dans toute la maison. J'entends de loin les jumeaux s'agiter et courir dans les escaliers pour nourrir leur curiosité. Je ris d'avance de la tête qu'ils feront quand il comprendront que ce n'est que Lydie qui se trouve derrière la porte. Comme pour confirmer mes pensées, le calme revient.

Toujours allongée sur mon lit, j'attends de percevoir à nouveau du mouvement dans les escaliers, signe que Lydie a fini de saluer ma famille et monte me rejoindre. Enfin, un bruit étouffé me parvient et la porte de ma chambre s'ouvre brusquement.

-JE VAIS REVOIR BEN ! s'extasie la brune sans perdre une seconde. Et Tommy. Et Mary...

Elle continue la liste en citant les prénoms de tout le groupe tout en se laissant tomber sur le lit à mes côtés. Je souris mais ne réponds rien. Je la regarde, elle, avec toute cette joie qui s'exprime dans son simple regard fixé au-dessus de nous.

-La semaine va vraiment être fantastique, murmure-t-elle sans quitter le plafond des yeux.

De mon point de vue, j'ai l'impression qu'elle peut déjà voir les évènements projetés sur la peinture blanche, comme on regarde une vidéo souvenir. Intriguée, je me tourne à mon tour vers le plafond. La première image qui me vient est celle du visage de Jack. Je la chasse aussitôt. La seconde me représente, courant dans les bras d'Enio.

Je sais que la situation ne se déroulera pas ainsi. D'abord à cause de ma timidité, mais aussi parce que je ne serais pas à l'aise de sauter dans ses bras devant tous les autres.

Comme pour répondre à ma demande inconsciente, la scène se transforme légèrement pour passer dans la catégorie « possible » : ce n'est plus moi qui court dans les bras d'Enio, mais Lydie qui court dans ceux de Ben.

Cette simple vision me ravie et je ressens enfin le besoin de répondre à Lydie :

-Oui. Elle le sera.