->Chapitre 8.1<-

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La différence entre un rêve et un projet, c'est une date.

Walt Disney

Bennie

Un an. C'est le temps durant lequel je n'ai pas parlé à Enio. Ni à Jack. Et ce temps ne cesse d'augmenter. Jour après jour, j'attrape mon téléphone sur ma table de nuit et mes espoirs s'amenuisent à mesure que mon cœur se serre de l'absence de message. J'ai essayé de me faire à l'idée que je les avais perdu tous les deux mais rien n'y fait : j'ai toujours aussi mal.

-Ma chérie ? dit Maman en passant la tête dans ma chambre. Les invités commencent à arriver. Tu es prête ?

Forçant un sourire, je hoche la tête.

-J'arrive Maman.

Elle traverse ma chambre pour me rejoindre devant le miroir. Posant ses douces mains sur mes épaules, elle capte mon regard dans notre reflet. Plus grande que moi de quelques centimètres en temps normal, elle me surpasse d'une tête avec ses hauts talons. Sa prestance est parfaite, comme toujours, et sa silhouette est mise en valeur par son tailleur. A côté, et malgré la ressemblance que certains observent, je me sens ridicule. Avec mon trop plein de hanches et de cuisses, je suis loin de la figure assurée de ma mère.

-Tu es ravissante, souffle-t-elle.

Je voudrais lui sourire à nouveau mais n'en trouve pas la force. Cette journée, censée célébrer ma réussite, me rappelle tout ce que j'ai perdu en chemin. Et je ne peux m'empêcher de m'interroger : cela en valait-il la peine ?

-Bennie, je sais que tu aurais voulu que les choses soient autrement mais tu as fait le bon choix. Tu as 19 ans et encore toute la vie devant toi. Si ce Jack n'a pas su te soutenir dans tes rêves, alors il n'en valait pas la peine. Et ne m'oblige même pas à aborder le sujet de ce supposé ami qui t'a tourné le dos pour avoir choisi tes études à la place de l'amour. Faire des sacrifices dans son travail au nom de l'amour quand on est plus âgé et qu'on aspire à une famille, c'est une chose. Sacrifier son avenir à 18 ans en est une autre.

Je tourne vers elle mes yeux embués de larmes. Maman a toujours su lire en moi comme dans un livre ouvert. Elle sait à quoi je pense avant même que je ne le réalise moi-même.

-Et quoi que tu puisses penser, ajoute-t-elle en encadrant mon visage de ses mains, ton père et moi sommes fiers que tu sois restée sur ta position. Nous t'aimons.

Et par-dessus tout, elle sait exactement quels mots doivent être dits à chaque instant.

-Moi aussi je vous aime, répondis-je en me blottissant dans ses bras.

La tête au creux de son cou, je respire profondément pour chasser les larmes. Après un an, il est peut-être temps d'oublier et d'avancer.

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Les félicitations s'enchaînent sans me laisser le temps de respirer entre deux « merci ». Toute ma famille élargie est là, venue spécialement pour célébrer mon entrée prochaine à l'ENSAE, l'école nationale de la statistique et de l'administration économique. Mes oncles, sous l'œil exaspéré de leur femme, mettent encore plus de bazar que les enfants eux-mêmes. Ceux-ci tentent principalement de subtiliser discrètement de la nourriture sur la table de buffet malgré les avertissements de leurs parents.

Voir le jardin baigné de lumière et de sourires chaleureux m'a ragaillardie. Je ne ressens plus le besoin de me forcer à sourire et mes tourments s'en sont allés. Finalement, je me sens capable d'apprécier cette journée et la fête que Maman a organisée.

Destinés à patienterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant