PHOTOGRAPHE

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 S'il y a bien un endroit sur le campus où je me sens parfaitement à l'aise c'est le théâtre. Quand je n'ai pas cours ou que j'ai une heure de libre, je viens m'asseoir dans un siège, jamais trop près de la scène, et j'assiste aux répétitions.

L'atmosphère que je trouve ici est particulièrement apaisante. J'aime le confort de la salle, l'aura qu'elle dégage. J'aime aussi entendre les étudiants réciter leurs répliques, les regarder évoluer sur la scène et entendre la bienveillance du professeur qui leur prodigue des conseils. Je trouve qu'il n'y a pas plus reposant que d'être assise là en silence à observer le spectacle qui se joue sur scène.

C'est pour avoir une bonne excuse que j'ai décidé de choisir le thème du théâtre pour mon nouveau projet de création artistique. J'ai désormais une bonne raison de passer mon semestre dans cet endroit où Gabi s'entraîne tous les jours. Je n'ai qu'à prendre des photos, trouver l'inspiration quelque part, dénicher l'art du théâtre derrière l'objectif. Ça, je suis certaine d'en être capable.

Armée de mon appareil photo, je prends un tas de cliché en sachant que je n'en exploiterai qu'un quart. Je m'arrête sur chaque détail qui pourrait être beau, inspirant ou simplement représentatif de l'art de la comédie. Je m'attarde sur d'infimes éléments et je n'ai plus qu'à appuyer sur le bouton.

La courbe d'une main tendue pendant que le comédien rattaché à ces cinq doigts récite un monologue. Le dessin d'une paire de lèvres en mouvement quand un autre répond par une réplique cinglante. Un simple regard perdu dans l'obscurité de la salle. Les genoux ancrés au sol d'une comédienne qui joue le désespoir.

Les expression qui animent le visage de Gabi quand il s'exprime sont particulièrement intéressantes à capturer mais celles de ses camarades le sont tout autant. Ils ont tous une façon différente de jouer et c'est ce que j'essaie d'immortaliser en m'attardant sur de petits détails. Ils semblent insignifiants pour la plupart des gens mais ils ignorent que c'est ce qui rend leur jeu aussi unique, brut et percutant.

Être assis dans le public est différente d'être sur scène. Ce sont deux mondes bien distincts. Les comédiens qui évoluent sur la grande estrade semblent couper de l'extérieur comme dans une bulle tandis que nous autres sommes de simples spectateurs.

Ils ne prêtent même pas attention aux crépitements de mon appareil chaque fois que je prends un nouveau cliché. Quand ils sont dans leur rôle, rien ne pourrait les distraire et c'est quelque chose que je trouve presque magique. C'est une autre facette de cet art qui m'intéresse tout particulièrement. Les acteurs vivent dans un monde à part quand ils sont maîtres de leur art.

Quand on est dans un théâtre, le temps semble altéré lui aussi. Les minutes peuvent paraître des heures quand une scène poignante vous crève le coeur tandis que les heures peuvent devenir de simples minutes lorsque la pièce est prenante. On ne se fie plus à notre propre notion du temps quand on est à l'intérieur.

Je comprends pourquoi Gabi rentre tard parfois. Je parie qu'il n'a même pas l'envie ni le besoin de regarder l'heure. Moi je n'y pense même pas quand je suis ici.

-Beau boulot tout le monde ! déclare brusquement le professeur. On s'arrête là. Je vous dis à la semaine prochaine. Profitez bien de ce week-end pour revoir les scènes de l'acte II.

Tous les étudiants applaudissent pour se féliciter de leur performance pendant le cours et chacun descend de scène pour récupérer ses affaires et s'en aller.

Déjà ?

Les deux heures de répétitions auxquelles je viens d'assister ont filé à la vitesse de l'éclair. S'en est presque ahurissant.

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