CONTRE-COUP

299 19 3
                                    

-Bon, on peut dire que ça ne s'est pas trop mal passé ! 

     Dépités, Gabi et moi lançons un regard las à Aaron qui, malgré la gravité de la situation, tente de relativiser en nous offrant un de ses sourires penauds qui attendrirait même un tyran. 

     -Tu es sérieux ? grogne son grand frère à côté de moi. 

-Il n'y a pas eu que des mauvaises choses. 

-Il nous a rejeté, lui fais-je remarquer. On a essayé de lui expliquer toute l'histoire, il ne nous a pas vraiment écouté et en plus, il a clairement dit qu'il n'accepterait pas ça. Où est-ce que tu as vu des bons côtés dans tout ça ? 

     Assis en face de nous à la table d'un café en ville, mon demi-frère perd aussitôt de sa confiance en lui. Il se renfonce dans son siège avant de tenter une autre approche. June est assis à côté de lui et elle est tout aussi silencieuse que moi. Ça nous dépasse totalement et je crois que nous préférons toutes les deux notre statut de spectatrice. 

     -Il n'a pas étranglé Gabi ! C'est déjà ça, non ? 

     Tout de suite, les images de mon cauchemar me reviennent en tête et je frissonne d'effroi. Je ne veux plus penser à ce que j'ai vu la nuit dernière. Si ça continue ainsi, je ne dormirai plus jamais. 

     -Arrête, marmonne Gabi en percevant probablement mon malaise. 

-Je vous jure que c'est un bon point. Il aurait eu mille occasions de te faire la peau et il n'a rien fait. Au moins, tu es toujours debout et tu as pu lui dire tout ce que tu avais à lui dire. 

-Mais ça n'a rien changé. Il n'a rien voulu entendre. James est trop borné. 

-Comme toi tu l'as été quand tu as choisi de sortir avec sa fille même si tu savais que ce n'était pas forcément une bonne idée. 

     Sur ce coup-là, Aaron marque un point, je dois bien l'avouer. Gabriel n'est pas tout blanc dans cette histoire et moi non plus. Nous avons commis des erreurs et nous avons pris des risques. Il faut sûrement du temps à mon père pour avaler la pilule. J'aime me dire que tout n'est pas perdu et qu'il lui fait simplement un moment pour encaisser le choc, nous pardonner nos bêtises d'ado et accepter ce qui est réel aujourd'hui. Nous devons aussi nous mettre à sa place si nous voulons avancer sur la bonne voie. 

     -Quand Max est arrivée l'an dernier, James ne nous a pas interdit de l'approcher mais c'était une évidence qu'on ne devait pas le faire de trop près. Enfin, ça l'était pour moi, en tous cas. On savait qu'elle était intouchable. Tu ne peux pas dire le contraire. 

     Gabriel grogne dans son coin comme un ours mal léché mais ne le contredit pas. 

     -Et toi, tu as franchi toutes les limites qui avaient été fixées vis-à-vis d'elle. Avoue que pour lui, ça doit faire beaucoup à encaisser. 

-Je veux juste avoir la paix, Aaron. Je veux juste pouvoir tenir la main de ma copine sans qu'on nous regarde de travers, c'est tout. Tu crois que c'est trop demandé ? 

-Non mais... 

-Imagine si c'était June et toi à nos places. Ça ne te rendrait pas dingue ? 

     Le petit frère réfléchit un instant, les yeux perdus dans le vague, visualisant sûrement cette idée, puis acquiesce d'un air entendu. 

     -Ce serait l'enfer, déclare-t-il. 

-C'est l'enfer, je te le dis. 

     Malgré tous les efforts du monde, Aaron ne peut pas imaginer ce que c'est que de ne pas pouvoir être soi-même en public. June et lui sont ensembles depuis toujours et personne n'a jamais eu de problème avec leur relation. Tout le monde les trouve beaux et adorables ensemble. Il ne sait pas ce qu'on ressent quand on ne peut pas toucher ou approcher celui ou celle qu'on aime à cause du regard des autres. Personne n'a jamais regardé sa main avec dégoût quand il tenait celle de June. Personne n'a jamais jugé un de leurs baisers échangés. Il ne connaît pas la honte ni le dégoût de la manière dont nous l'avons connu. 

attraction éternelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant